ADHÉRER, DISENT-ILS...
Catégorie : Opinions
Manifestation à Montpellier il y a quelques jours
Un français sur deux considère en ce début Janvier 2019, qu'il "faut que le mouvement des Gilets Jaunes continue", et - d'après les instituts de sondage -, un peu plus même "Adhèrent". Quant au léger fléchissement des chiffres, depuis mi-novembre, on l'aura compris, ce n'est pas aujourd'hui mon propos. "Adhérer", être sympathisant, se vivre représenté, ou se sentir soi-même "Gilet"... Or, là, aucune carte, ni cotisation - t'as payé ta cotis cette année ? rien d'un contrat, pas même un pacs, rien à voir avec le moindre engagement ; plutôt une volée de j'aime sur une page face book ! des engouements de coin de fête foraine... Vaste foire là encore, à la hauteur des tout-mélange, des mixes improbables dont on parle à satiété depuis maintenant plus de deux mois, quand on s'exprime sur les Gilets Jaunes, ce "Jaunisme", néologisme récemment pondu quelque part, guère plus adéquat que le reste. Parce que tout en la matière est flou, imbriqué, et surtout mouvant ; autant dire insaisissable. Alors, pourquoi faudrait-il, face à ce tableau, une opinion claire et tranchée, rangée comme une armoire de bonne famille, puisque "reconnaître ses petits" semble n'être plus de saison ? Comme une inversion climatique, qui existe certaines fois et dans des conditions précises en climatologie (par exemple la température plus haute au sommet du Puy de Dôme que dans Clermont-Ferrand à ses pieds), on a un pays entier secoué par quelques centaines de milliers - mis bout à bout - de marcheurs en jaune du samedi (huit épisodes à ce jour, et bientôt neuf) et dans les ronds-points des villes ou péages des autoroutes, trois piquets, un bout de toile, des gamelles et une pincée de gars levant le doigt à chaque klaxon qui passe... Inédit ; inversion politique et sociétale.
Avant, soyons en sûrs, c'était la préhistoire... Il y avait la représentation de corps intermédiaires campant sur des élections professionnelles, qui alignaient dans des listes organisées, "ce" qu'on pouvait raisonnablement prétendre à obtenir comme droits supplémentaires ; un "Etat providence" qu'on défendait bec à bec et dont chacun comprenait l'utilité, une sorte de "consentement" à la société, en marge d'un consentement à l'impôt, qui, lui, n'était certes plus à l'affiche depuis belle lurette. On votait - mais de plus en plus, moins ou pas - pour des représentants qui "là-haut", fabriquaient des lois. 80 km sur les routes secondaires ne mettaient pas en émoi des territoires entiers. Il se mitonnait - depuis pas mal de temps, ces clivages peuple/élites où, dirait le dernier portable du marché, "y avait pas ou plus de réseau"... On était pour, contre, ou sans opinion (là, ça montait dru) ; c'était un temps - préhistorique, redisons-le - de majorités de Droite(s) calées sur des alternatives de Gauche(s), ou le contraire. On voyait encore clair dans ce ciel d'il y a si peu de temps... Et puis, ça s'est mis à disjoncter, au rythme des désillusions, et de la désespérance ; le "dégage !" s'est invité au banquet de ces individus se mettant à fonctionner dans tous domaines en individualistes. Le "je" avait chassé le "nous", et la grammaire, ma foi, rétrécissait comme camelote en lave-linge. "L'opinion", nourrie aux mamelles infernales des réseaux sociaux saupoudrés de fake news et de - "moi, je vais vous dire !" - s'activait à jeter dehors des présidents à peine installés ; sports qui coûtaient peu que ces bashings déchaînés. Mêmes clivages, bien sûr, dans ces opinions, que dans le reste, entre prétendues élites et reste du peuple prétendu ignare ; tennis de bazar, logique...
Pourquoi être étonnés de cet étrange, certes, et dangereux fleuve, "sorti de son lit", comme avait dit un jour "un certain" - partout à présent dans nos paysages. Évidente équation : l'opinion est Gilet, ou anti, et tout fonctionne à la même aulne. Cette moitié de français qui, disent-ils, "adhèrent", sont dans un immense mouvement de procuration sur du protestataire déguisé en horizontalité, sans jamais mettre la main à la pâte. "Ils se battent pour nous !" disait, pas peu fière, une femme dans sa voiture, longeant un rond-point, mais allant pour autant à ses affaires, se contentant de son pouce en l'air et de son gilet jaune posé devant son volant. Pauvre, pauvre façon de militer, d'appuyer des luttes ou même des causes. Fossé, à peine pensable, d'avec "nos" anciennes procédures, virées, dégagées, aux poubelles d'une histoire visiblement peu convoquée... La violence, si souvent partie prenante des pages de nos livres d'histoire, si redoutée par "l'opinion", et notamment la majorité silencieuse (sans doute fut-ce d'ailleurs là le logiciel le plus erroné de nos gouvernants), la violence elle même, passe, et fait flores, car "on n'a rien sans violence" ; c'est en exigeant, la voix et le geste hauts, qu'on a obtenu ; les méthodes anciennes n'arrivaient à rien, etc. bref, la barbarie a du bon !"... Il suffit en effet de constater le déroulé, la forme et le fond de la geste française de ces premières semaines de décembre, tant dans la rue, qu'au plus haut de l’État... Limpide, à n'en pas douter... !
Hier - 8e samedi Gilet, sur la place de Montpellier, deux arènes ; la tv en live ; préfecture, bagarres parfumées de lacrymogènes et la gare en ce moment de fin des congés d'hiver ; des feux au coin des rues, des Gilets parsemés de casseurs et d'émeutiers professionnels, des galops de CRS montant à l'assaut ; un blessé au sol, et une foule réjouie au balcon - "C'est les Gilets ?" - comme au passage du tour de France ! Un rideau de portables (à bonne distance quand même) filme à tour de bras cet énième épisode de guérilla urbaine. Posé illico sur le premier facebook venu, des commentaires devant l'allongé au Gilet - "pas bien !"... Riche rhétorique... Voilà donc le niveau de ces "adhésions", de ces applaudissements (d'opérette)... ! Qui a dit inquiétude ? Qui a dit honte ? Désespoir ? Surtout pas ! C'est à ce problème qu'il faut nous atteler. Tous... Et quelques optimistes de murmurer que la chance, celle de tous, est peut-être aussi du voyage...
Martine L Petauton
6 Janvier 2019
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