Actualité générale
LA MONTÉE DE LA HAINE DE L'AUTRE
Catégorie : Actualité générale
La haine de l'autre est une haine de soi
Depuis l'année 2008, nous avons vécu une accélération de la crise, à caractère multiforme, étant aussi bien économique, que sociale, politique, culturelle, et morale - en somme "systémique", ou encore "de civilisation". Cette crise que nous traversons, notamment en France, en Europe, et au niveau du continent américain, est certes un élément fondamental du phénomène traditionnellement humain bien connu du rejet de l'autre, mais elle s'est progressivement transformée en une forme de haine, avec comme moteur principal l'hyper-individualisme. Et cette haine, dans le contexte d'un brouillage de plus en plus marqué des repères politiques, culturels, et moraux, est exploitée par les populistes de toutes sortes, et surtout par les partis politiques d'extrême droite. D'ailleurs, dans un nombre de plus en plus important de pays, les populistes d'extrême droite, ou les populistes et extrémistes de gauche, se sont emparés du pouvoir ou l'ont durci : ainsi en Hongrie, Pologne, Autriche, Italie, Etats-Unis, Brésil, Venezuela, Nicaragua, etc... On sait que la haine provient la plupart du temps d'abord de l'ignorance, et très souvent - en liaison avec celle-ci - des peurs générées, voire "vendues", pour des raisons d'audimat, par la caisse de résonance de certains grands appareils médiatiques, notamment télévisuels, qui ont sombré depuis longtemps dans le sensationnalisme de "l'entertainment" anglo-saxon et l'exploitation commerciale des drames planétaires...
Je vais hiérarchiser ces différentes formes de haine, qui perçoivent de plus en plus "l'autre" non plus comme un concurrent, mais en tant qu'adversaire, ou même un ennemi (pour l'emploi à avoir, le droit social personnel, etc.). Il est bien évident - et cela remonte certes à très loin - que le haut de la pyramide de la haine touche avant tout les migrants et les immigrés, perçus le plus souvent comme des "profiteurs" de droits sociaux au détriment des "nationaux", des "vrais français", et même - selon l'expression employée par certains Gilets Jaunes (depuis novembre-décembre 2018), des "Gaulois" (comme on a pu le lire écrit sur l'arrière d'un très grand nombre de "gilets")... C'est dans ce contexte d'identitarisme que Marine Le Pen avait fait prendre un virage à 180° au "programme" du Front National (devenu Rassemblement National) par rapport à ce qu'avançait le parti frontiste à l'époque de son père. En effet, elle a repris le thème - traditionnellement de gauche - de "l’État protecteur" et de la "défense des services publics", uniquement réservé aux fameux FDS, ou "Français De Souche", une expression ne correspondant à rien de réel pour ceux qui connaissent l'histoire de la formation de notre pays. C'est ce qui donne une coloration "fascisante" à ses conceptions à la fois nationales et soi-disant sociales - avec un accès humain restreint...
Après les immigrés, l'ennemi potentiel, c'est celui ou celle qui est au chômage, et que l'on soupçonne de ne pas vouloir travailler (sachant qu'il peut y avoir parfois effectivement des abus, mais que cela est minoritaire, a toujours existé, et existera toujours). En rapport avec ce que je vais appeler ici la "fracture culturelle" - de plus en plus inquiétante -, quel est le % de nos compatriotes qui savent que la fraude sociale (ceux qui abusent du système de protection sociale dans notre pays - le plus développé au monde) représente un chiffre ridicule par rapport à celui de la fraude fiscale ? En effet, la fraude sociale fut évaluée l'année dernière à environ 7 milliards d'euros (ce qui semble bien sûr considérable par rapport aux revenus d'un individu ordinaire) ; mais, pour la fraude fiscale, le chiffre s'est situé quelque part entre 80 et 100 milliards d'euros, voire davantage, car elle n'est pas facile à évaluer (ni par ailleurs à contrer, sinon au niveau européen, et même uniquement mondial). Pourquoi un nombre de plus en plus important de nos compatriotes concentrent-ils leur attention uniquement sur ces 7 milliards d'euros de la fraude sociale ? Attention ! car je ne suis pas en train de dire que celle-ci soit un phénomène banal contre lequel il ne faille pas lutter ; il y a des moyens pour le faire : recruter davantage d'inspecteurs du travail et de travailleurs sociaux - mais donc, ô scandale potentiel, des fonctionnaires... !
Ensuite, viennent tous ceux, parmi nos compatriotes, qui sont au RSA (Revenu de Solidarité Active), qui remplaça le RMI (Revenu Minimum d'Insertion), ou (et) qui bénéficient d'aides diverses, notamment des jeunes (d'où l'essor, au sein de catégories de notre population, du rejet d'une partie de la jeunesse). Et puis, des handicapés qui, d'après certains, profiteraient tous plus ou moins d'une sorte "d'avantage inadmissible"... C'est là qu'intervient un phénomène extrêmement grave puisque correspondant à un comportement de type "schizophrène" de la part d'une partie importante des Français. Il s'agit (et c'était déjà le cas à propos des chômeurs) de la dénonciation de tous les "assistés"... On en arrive alors à une sorte de contradiction psycho-sociale, puisque les mêmes personnes qui dénoncent "l'assistance" (il est évident qu'il y a parfois des abus, contre lesquels il faut lutter) trouvent les aides en question tout à fait normales lorsqu'elles en ont besoin pour elles-mêmes, leurs enfants, leurs petits enfants, ou des membres de leur famille proche... En somme, le soi-disant "privilège" de "l'autre" (même s'il s'agit d'un vrai droit) devient, pour une majorité (?) de Français, lorsqu'il y a pour eux un besoin de soutien social, un "droit" (même si cela correspond en réalité à un vrai privilège)...
Il y a également - malgré les tentatives, souvent peu réussies, de "fêtes des voisins" - la haine à l'égard de celle ou de celui, concurrent et ennemi (même s'il est intégré dans la société du travail), proche de tel ou tel français sur le plan du statut social. En effet, un nombre de plus en plus important de Français considèrent comme insupportable le fait qu'à côté d'eux un (ou une) de leur collègue de bureau (par exemple) touche, à qualifications égales (ou même à moindre qualification), 50 à 100 euros de plus par mois... Drôle d'époque que la nôtre, celle que j'appelais - en cours d'ECJS (Education Civique Juridique et Sociale), qui ont été remplacés par l'EMC (Enseignement Moral et Civique) -, auprès de mes élèves de première ou de terminale, la "jejecratie", ou la "moimoicratie" (la perception des problèmes qui se posent à notre société étant dominée par l’ego) ; soit une inquiétante rupture des solidarités. Léon Bourgeois (un membre important du Parti Radical sous la IIIe République), et père du "solidarisme", aurait de quoi s'en retourner dans sa tombe... Je remarque ainsi que les grands appareils médiatiques ont organisé, pendant très longtemps, une opération de "génuflexion obligée" (formule de Bernard-Henri Lévy) en rapport avec la mouvance des Gilets Jaunes ! Mais, qu'est-ce que celle-ci, sinon une simple coalition incohérente de revendications des "Je", et de plus en plus habillée par des mots de haine provenant d'une sensation psy de "toute puissance"... ?
Pour terminer et actualiser cet article, en rapport avec ce que furent les six derniers mois que connut la France, comment ne pas rappeler le fait que, dans le cadre de "la parole décomplexée" et celui du contexte du "jaunisme", les pires expressions de haine se firent à nouveau jour dans notre pays (malgré ce que certains nommèrent "la fraternité des ronds-points"), avec des propos et des actes antisémites, racistes, sexistes, et homophobes... ? Soit une haine démultipliée, symptôme d'une nation malade, même si de nombreux autres pays que le nôtre ont été (et sont toujours) touchés par ces phénomènes. Pourquoi cela ? Entre autre parce que, dans notre monde, devenu tellement complexe à saisir, la grande majorité des gens n'ont pas eu la chance de recevoir les outils de formation nécessaires, ou n'ont pas le temps (en rapport avec leurs retours fatigués après leur travail) pour pouvoir se plonger dans des sources comparées afin d'échapper le plus possible au mal actuel de la "post-vérité", ou de la "vérité alternative", et des "mensonges fabriqués", par les populistes d'extrême droite ou autres. Dans un tel contexte, beaucoup vont chercher - et pensent trouver immédiatement - la réponse (simpliste et univoque), qui ne forcera pas le "citoyen" (indispensable dans une démocratie) à s'informer véritablement. Et les haines actuelles se déchaînent par réseaux sociaux interposés, et ceci à la vitesse de la lumière...
Jean-Luc Lamouché
Chronique de Reflets du Temps refondue
16 avril 2019
"ON L’ASSOIT SUR UN COUTEAU"...
Catégorie : Actualité générale
Préambule du blog transmettre34 :
En ce 8 mars 2019, c'est la Journée internationale des droits des femmes. Nous avons donc pensé qu'il serait utile de publier une chronique qui avait été rédigée par Martine L. Petauton, concernant l'excision des jeunes filles africaines, à son retour d'un voyage au Mali, durant l'hiver 2011. Cette chronique avait été publiée dans le site Reflets du Temps en cette même année 2011.
"On l'assoit sur un couteau désigne, en Afrique, en langue Bambara "l’excisée". Je reviens, pour ma part, du Mali, avec dans mes bagages, le chagrin des filles d’Afrique, car, dans ce pays, encore - aujourd’hui comme hier, l’excision porte beau… Tradition ? Usage ? Rite initiatique ? Pratique inhérente à la culture ? Barbarie ? Archaïsme ? La dénoncer, apanage des donneurs de leçons blancs ? Militer pour sa disparition, trait d'humanité transcendant Histoires, territoires, cultures ? Magnifique débat jamais fermé ; ronde toujours vivante des droits des femmes, bien sûr ; de l'humain, à coup sûr !
150 millions de femmes, dont une grande partie en Afrique de l’Ouest, en sont actuellement victimes (une fille sur deux en Côte-d’Ivoire). Les couteaux de l’exciseuse continuent de rôder, et pas seulement dans les villages reculés ! On mesure mal - semble-t-il - l’évolution de la pratique, puisque l’Afrique, schizophrène, oscille sans cesse entre les législations fermes des institutions (beaucoup de femmes sont au nombre des parlementaires) et le poids - lourd - des traditions. L’Égypte punit l’excision, "sauf nécessité médicale" ; en Ouganda, un médecin qui s’y livre sera interdit d’exercice ; elle est sévèrement pénalisée au Burkina, au point que les fillettes sont "exportées" en pays Dogon, au Mali, où les lois plus floues ou plus laxistes s’appliquent mal. On vient donc, à dos d’âne ou en moto, faire exciser sa fille dans le pays voisin, comme chez nous, avant l’I.V.G., quand on allait en Suisse … !
Ablation du clitoris, des petites et des grandes lèvres ; atroce introcision qui élargit l’orifice vaginal avec un silex, replie le clitoris à l’intérieur et recoud. Conséquences terribles, en termes de douleurs, maladies, mort parfois, difficultés lors des accouchements ; quid du plaisir sexuel évidemment ! Regard sur soi, femme à jamais rabattue, figée… petite fille terrorisée autour de la puberté, avant le mariage précoce et souvent arrangé… Tradition venue des tréfonds du monde, "justifiée" par le mythe du "vagin denté" (le clitoris serait la dernière dent…) ; histoire volant, dans toute l’Afrique, des murs de Djenné au pied du mont Kenya. Pratique éminemment plus culturelle que religieuse (comme d’autres coutumes, d’ailleurs). J’en veux pour preuves un symposium récent à Abidjan, consacré aux mutilations génitales féminines, au cours duquel les dignitaires religieux, d’un seul élan, ont stigmatisé cette pratique. Rite "de passage", évidemment, entre enfance et âge adulte ; argumentaire à manier avec les plus grandes précautions, cependant, quand on sait que certaines intellectuelles africaines s’en saisissent pour cautionner - sous prétexte d’initiation - la coutume… (l’excision n’est donc pas, comme on pourrait le croire, synonyme d’analphabétisme, dans tous les cas).
De même que chez nous - mais c’est daté - (surtout la période "tiers-mondiste" des soixante-huitards), des voix se sont tues devant ces "traditions"... "intouchables", parce que partie intégrante d’une culture qu’on voulait respecter à tout prix ! Je le dis d’autant que j’en ai connu plus d’un pour penser ainsi, il y a bien 30 ans, et que sans doute, j’hésitais alors, dans d’infinies palabres, entre étudiants ou enseignants, buvant notre thé à la menthe, à l’abri de nos foulards indiens… La crainte de jouer au donneur de leçon blanc hantait nos mentalités ; mais, c’était il y a longtemps ; le monde a grandi ! Depuis, les femmes - elles, surtout -, mais aussi tant d’hommes, ont, en Afrique, "marché" et lutté, depuis plus longtemps qu’on ne le croit - l’après-guerre et la décolonisation par exemple. La Somalie, par exemple, reste encore farouchement "excisionniste", mais, ailleurs, ça bouge ! Au Kenya, l’ethnie "Meru" n’est-elle pas allée jusqu’à substituer "une excision par la parole" à l’opération ? (Cependant, contenu du discours à méditer, sans doute !).
Des femmes de 60 villages (Sénégal, Mali) viennent d’abolir l’excision, soutenues par l’Unicef ; une O.N.G. ("Tostan") annonce que sur 5.000 communautés la pratiquant en Afrique de l’Ouest, en 1997, un tiers l’a abandonnée 10 ans plus tard. Une charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant suit son chemin, parallèlement aux progrès de la scolarisation des filles. J’ai vu en effet, dans les classes, pas mal de "petites", dans mon périple en pays Dogon. Mais aussi, pensons à l’école pour les garçons eux-mêmes, qui sont légion à fréquenter des "non excisées" ; limite des fausses "bonnes nouvelles", l’excision étant souvent vue comme la garantie de la fidélité et une protection contre le Sida … C’est là que j’en vois qui sourient à me lire, un peu condescendants : "Quelle naïveté ! Les institutions ! Les religieux ! Les textes !"... "Elle prend tout au pied de la lettre, elle fait confiance ! Tous ces leurres !"... et, de secouer la tête, un rien agacés. C’est peut-être, en effet, cette si longue fréquentation - par mon métier - des enfants ; mais, je crédite beaucoup les signaux, les symboles, et là, ce n’est pas ce qui manque !
Une nouvelle génération se lève ; de l’espoir, donc ; elle est instruite, lectrice des grands textes universels - Convention des droits de l’enfant, en 1989, seulement ! Écrits posant la femme, ses droits, sa dignité ; en miroir me vient la comparaison avec notre Déclaration des droits de l’homme de 1789, semée, partout dans l’Europe archaïque et enchaînée, par les armées napoléoniennes ; lu, c’est le principe "du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes", qui a fait éclore le printemps de 1848 et les révoltes des nationalités… Le même principe, qui, cette fin d'hiver, fait lever partout les étendards de liberté dans le monde arabe - femmes et hommes confondus - Qui "sème le grain récolte aussi la liberté" (encore en miroir dans la Déclaration Universelle de 1948).
Il y a fort à penser, donc, que l’excision sera peu à peu abandonnée par les Africains eux- mêmes, sous les pressions croisées et complexes des influences interrégionales, internationales aussi, des déplacements de plus en plus fréquents des Africains sous d’autres latitudes, des imprégnations, échanges, qui sont la face claire de la mondialisation, du tourisme solidaire et de tout l’humanitaire ; bref, de tout ce qui nous fait marcher vers l’"ensemble". Et, s’il est vrai que la rapidité - parfois brutale - avec laquelle, nous, occidentaux, avons pu projeter nos points de vue pour régler leurs comptes aux traditions africaines, a été souvent contre-productive, il n’empêche que demeurer dans "la béatitude du Bobo" peut l’être autant, sinon davantage.
Voulez-vous, qu’en guise de conclusion, on écoute Élisabeth Badinter, posant une problématique toute simple, et pourtant si riche : quand une tradition rencontre l’obstacle des droits universels de l’Homme, le chemin est-il le soutien de ce qui nous rassemble - tous et toutes - ou bien faut-il laisser la préséance aux particularismes - qui plus est - barbares ? Pour la petite fille malienne qui doit danser, folle de douleur après l’opération, mais aussi pour le jeune garçon, à 15 ans dans la grotte de Songho, dansant, lui aussi, en transes, sous l’effet de l’alcool et de la musique obsédante des percussions réservées à l' usage d'une circoncision pratiquée encore comme au Moyen - Age… pour eux - et pour nous tous - le chemin est-il encore long ?
Mon propos s’est limité à l’Afrique, mais un excellent site - AFRIK.COM - donne, à l’article "excision", des renseignements, notamment sur la situation en France (50.000 filles excisées).
Martine L. Petauton
Avec l'autorisation de Reflets du Temps
8 mars 2019
VERS UNE PSYCHANALYSE DU "JAUNISME"
Catégorie : Actualité générale
Le "jaunisme", un terme qui est utilisé par des observateurs pour désigner les actions des Gilets Jaunes, et qui n'est, idéologiquement, ni "rouge" (socialiste révolutionnaire ou anarchiste), ni "noir" (fasciste), mais soit rien, soit kaléidoscopique - comme j'ai pu l'écrire dans un autre article. En fait, les Gilets Jaunes sont un mouvement populiste effectivement de toutes les couleurs et qui prétendit, à son départ, n'en n'avoir aucune, en dehors de ce "jaune" (qui fut d'ailleurs utilisé - autrement - à la fin du XIXe siècle pour monter des syndicats jaunes briseurs de grèves : celles des "rouges", avec le socialisme et la classe ouvrière en expansion, cette dernière étant forte de sa "conscience de classe" (dont le "jaunisme" est dépourvu étant donné son individualisme). Mais, lors de nos échanges au sein du groupe facebook "Contre les populismes de droite et de gauche", plutôt que cette histoire de couleurs, il y a quelque chose d'autre qui nous a semblé beaucoup plus intéressant à aborder : le fait que les Gilets Jaunes résument bien ce qu'est l'être humain, avec sa face positive et celle négative... Je précise, au nom du collectif qui a travaillé sur ce sujet à partir de mon post, que le résultat de notre travail n'est ici qu'une tentative d'approche d'une perception d'un phénomène de groupe (ou de foule), alors que les psys traitent des comportements humains au cas par cas, individuellement. Mais, tentons tout de même l'expérience consistant à relever des éléments d'analyse dans les attitudes de ces foules qui occupent encore (mais moins) les ronds-points, et manifestent chaque samedi depuis des semaines et des semaines.
Sur le plan de la sociabilité, on a souvent assisté à la rencontre entre des personnes qui ne se connaissaient pas (et donc à une certaine fraternité, dite "des ronds-points"), avec des soirées plus ou moins festives du genre "brochette" ou "merguez", un peu dans le genre "fête des voisins"... Il y avait, pour les premiers Gilets Jaunes, le besoin indiscutable de mettre quelque chose dans leur vie, de l'éclairer (la couleur jaune elle-même !), et le mouvement a comblé leurs attentes, comme une sorte de club de rencontres amicales pour sorties en commun et sur des projets d'apparences communes (je pense à OVS, ou On Va Sortir, sur l'Internet). Il convient de prendre conscience de ce que notre société ne comble pas les besoins grégaires, et pour cause. Ne sommes-nous pas de plus en plus isolés : familles éclatées, amitiés incertaines, rencontres impossibles, tout cela étant dû sans doute au règne de d'internet (que voici un oxymore fascinant !). Ce mouvement populiste devrait au moins nous inciter à comprendre ce qui se passe et pourquoi les pouvoirs publics ne peuvent plus (ne savent pas) trouver de réponses politiques adéquates face à des problèmes de ce type, et qui vont être sans doute de plus en plus ceux du XXIe siècle.
Sur la base des revendications de départ (portant sur les prix des carburants), les manifestations étaient globalement respectables et d'ailleurs dans l'ensemble plutôt pacifiques. Il y a eu des revendications indiscutablement justifiées, quoique pas forcément réalistes dans le contexte économique actuel. Cela dit, de ces demandes plutôt sensées émanaient un désir de consommer plus, et il n'y avait presque aucune revendication purement sociale en faveur des vrais démunis (les femmes seules, les laissés pour comptes ou exclus, etc.). On ne peut donc pas parler de l'existence d'un véritable sentiment de solidarité chez la majorité des "jaunistes". Nuançons aussi le caractère "bon enfant" des débuts. Dès les premiers blocages des ronds-points, il y eut une volonté marquée de forcer les automobilistes à adopter leurs revendications. Très souvent, ils obligeaient à arborer le gilet jaune, à klaxonner, à signer des pétitions de soutien, etc. Combien de Français ont été obligés de montrer ostensiblement leur adhésion sous peine d'être pour le moins bloqués, chahutés, et conspués... ! Certaines personnes, n'ayant pas de gilet jaune, ont même vu leurs voitures taguées et bombées de peinture... Dès l'origine, ceux qui organisaient les ronds-points et qui réclamaient haut et fort la liberté de s'exprimer entraient dans une démarche contradictoire : la revendiquant pour eux-mêmes, ils interdisaient de facto toute liberté de manifester que l'on puisse penser autrement. Des Français furent très souvent traités de "collabos" parce qu'ils ne manifestaient pas une adhésion franche à leurs actions... "Collabos"... étrange formule a-historique (dans le contexte), et forme de terrorisme intellectuel par rapport à ceux qui voulaient s'exprimer d'une manière différente, ou plus nuancée et faisant pourtant preuve d'une liberté de type voltairienne...
Il y eut très vite la montée en puissance de la violence, la foule déchaînée, celle qui lynche (dans l'esprit de ce que l'on pouvait voir dans les westerns de notre adolescence ou aujourd'hui encore dans les salles de cinéma, et mettant en scène les Etats-Unis à l'époque du "Far West"). Les symboles de la république furent touchés. C'est ainsi qu'au tout premier chef la figure même du chef de l'Etat fut violemment mise en cause, vilipendée, et même pendue et égorgée symboliquement... Par rapport à Emmanuel Macron, un président qui n'est pas pire qu'un autre avant lui, n'ayant rien de criminel à se reprocher, on comprend mal les attaques délirantes, pour ne pas dire terrifiantes, qu'il eut à subir. Il y avait là un mélange très curieux de syndrome de la "cocotte-minute" bouillant depuis trop longtemps (la succession des présidences antérieures), une sorte de révolte contre le "père" (trop jeune en plus), surtout le "complexe de Caïn" (rappelons-nous des appels au meurtre contre le président, notamment de la part de François Ruffin, important dirigeant de La France Insoumise mélenchoniste), etc... Chez certains Gilets Jaunes, on en arriva à constater des phénomènes de comportements à situer au stade de l'adolescence : Emmanuel Macron vu comme l'incarnation de l'ordre et de l'autorité (qu'on refuse, tout en développant parallèlement de la violence et de l'autoritarisme), plus la haine du grand frère, jeune, "beau", riche (banquier "chez Rotschild" - pourquoi insister tant sur ce nom pour certains sinon par antisémitisme indirect... ?), intelligent et cultivé, qui se permet en plus de présider (illégitimement, bien sûr) la République...
Dans les mécanismes de foule que l'on a pu voir rapidement fonctionner, c'est à ce niveau que Sigmund Freud et Carl Jung (surtout) nous permettent de mieux comprendre le mécanisme psychanalytique du "jaunisme", avec comme point de départ évident le sentiment de l’impunité. Tout cela s'appuie sur la "part d'ombre" (concept de Jung) qui serait présente potentiellement au sein de chacun d'entre nous, mais ici potentialisée par un phénomène de masse (c'est ce qui mit d'ailleurs historiquement en mouvement le fascisme et le nazisme avant la Guerre). Cette "part d'ombre" fit que les phénomènes de rejets et de haines ont fini par l'emporter, allant jusqu'à des niveaux rarement atteints dans notre pays. On a aujourd'hui des individus, les Gilets Jaunes, juxtaposition de revendications du "Je", qui ne sont d'accord sur quasiment rien, sauf leur volonté individuelle de domination, et voulant exprimer ce que l'on appelle chez les psychanalystes la "toute-puissance" (qui serait une sorte de fantasme d'omnipotence, de pouvoir sans limites et quasi-magique). La découverte d'une forme de pouvoir est en effet parfois un puissant détonateur pour la "part sombre" des individus. C'est un phénomène que l'on peut transposer à tout groupe (comme par exemple, pour certains jeunes des cités qui découvrent que le nombre et la violence leur donne du pouvoir, et en déduisent que les rapports avec les autres ne sont que des rapports de force). Nous sommes là au cœur d'une caractérisation du "jaunisme" comme mouvement populiste a-démocratique. Tout cela fut confirmé dès le début - notons-le - par le choix des modes d'action violents (bloquer, filtrer, atteindre l'économie), qui relèvent, ajoutons-le, d'une méconnaissance totale des mécanismes de l'action collective, notamment syndicale (ces syndicats que les Gilets Jaunes condamnèrent violemment par avance). Mais, "Le peuple a toujours raison", n'est-ce-pas (une autre version - faussement collective - de "Mussolini a sempre raggione")...
On trouve dans le "jaunisme" des troubles narcissiques du comportement, auxquels il faut ajouter la "toute-puissance" déjà citée. Il serait intéressant de se pencher sur les causes de ce type de perversion narcissique. Cette sorte d'individus que l'on a vu se déchaîner avec la majorité des Gilets Jaunes a certes existé de tous temps (certains observateurs ont pu parler de "jacqueries", comme sous l'Ancien Régime et au Moyen-Âge. Mais, ils étaient bien moins nombreux, et, privés des moyens d'information et de communication d'aujourd'hui, ils restaient isolés et n'avaient donc aucune possibilité d'être opérationnels ; en somme, ils n'apparaissaient pas comme dangereux pour la majorité de la population (ce qui n'a rien à voir avec le "Classes laborieuses et classes dangereuses" de Louis Chevalier, en raison d'une totale absence de "conscience de classe" dans ce mouvement : les "marxistes" de salon bobos parisiens du genre François Begaudeau iront se rhabiller). Leur besoin et leur espoir : être de plus en plus nombreux. Rien de tel, pour y parvenir, qu'un déploiement de violence, pour convaincre les plus faibles et obtenir leur collaboration. Les Gilets Jaunes ne sont pas partis des chaînes d'info en continu (même si celles-ci les ont abreuvés avec des infos superficielles non analysées en profondeur, puis les ont mis en scène), mais des réseaux sociaux. De ce point de vue, ce qu'avait dit Umberto Eco il n'y a pas si longtemps apparaît aujourd'hui presque comme prophétique... La caisse de résonance médiatique, à partir de l'annonce du lancement de la "giletsjaunisation" sur facebook, fut d'abord logarithmique, puis exponentielle. Nous savons que les échanges en temps réel réduisent celui de la réflexion. L'esprit critique est gravement menacé. Le point focal a migré vers la "réaction", au détriment de l'analyse, donc de la "pensée", vers la passion au lieu de la raison... D'où une "nécessaire" violence aux yeux de bon nombre des Gilets Jaunes, pour être adoubés par les grands appareils médiatiques.
Tout cela se situe dans un contexte de crise des idéologies : étant donné que la politique a horreur du vide, et par rapport à des Français qui ont ressenti l'inexistence de différences dans les résultats des politiques de lutte contre la crise de la part des gouvernements de centre-droit et de centre-gauche, il y avait un vide, et c'est dans celui-ci que naquit le "jaunisme", développant une quasi-vacuité au niveau des idées et débouchant sur un trou noir... Il faut aussi incriminer le manque de sens des vies de beaucoup des Gilets Jaunes et un déficit éducatif qui entraîne l'impossibilité de trouver un intérêt culturel à l'existence. Nous sommes placés dans le monde occidental (et autre ?) à des croisements de cycles civilisationnels, peut-être post-démocratiques (nous ne savons pas si la démocratie est condamnée au profit de formes de pouvoir autoritaires ou si elle arrivera à se régénérer progressivement : c'est dans l'entre-deux que naissent les monstres). Relisons le communiste italien Antonio Gramsci, qui avait déjà constaté dans ses "Cahiers de prison", le fait que "La crise, c’est quand le vieux monde est en train de mourir, et que le nouveau monde tarde à naître. Dans ce clair-obscur, naissent les monstres". Chez les casseurs professionnels idéologiques cyniques, ce sont indiscutablement les pulsions les plus primitives qui furent et sont encore à l'ordre du jour et à l'oeuvre, pour le pire (pensons au saccage de l'Arc de Triomphe)...
Les Gilets Jaunes le plus souvent ressentent l'opération de dépassement des partis politiques traditionnels (l'opposition droite/gauche) tentée par Emmanuel Macron comme un putsch malin. Ils se considèrent ainsi légitimés à reprendre à leur compte (et sans l'intelligence des faits) ce côté putsch ; il y a là évidemment un esprit de revanche couplé à une absence totale de scrupules. De plus, cela s'appuie sur le fait que l'individu s'est mis au centre de ses propres préoccupations, sans voir le mal qu’entraînent ses actions. Toutes ces individualités mises ensemble donnent un pouvoir détonnant et dangereux, qui peut effectivement amener au lynchage. La "toute puissance" citée plus haut vient du fait que les "jaunistes" s'identifient au "peuple", qu'ils sont LE peuple (que rien ne peut arrêter), comme un certain clamait haut et fort qu'il était "la république et sacré"... Les Gilets Jaunes ne sont en fait qu'une portion du peuple, pour ne pas dire une faction, activiste, c'est évident, mais très minoritaire. En affirmant que le pouvoir est devenu autoritaire, sinon dictatorial, ils tentent de faire apparaître leurs actions de révoltes comme justes et légales, au nom des Droits de l'Homme, ce qui est un comble... ! Ainsi, plus on parviendra à démontrer que l'Etat est devenu autoritaire, répressif, policier, plus la révolte en sera justifiée ; d'où le travail de harcèlement et de provocation, sinon la casse, générés par les plus extrémistes : le but consiste à entraîner la police dans un engrenage de la violence qui leur donnerait raison (si seulement nous avions "nos morts", se disent les plus extrémistes des Gilets Jaunes... !) et les conforterait dans le sentiment d'impunité, liée à la "légitimité" de leur mouvement. Un symbole : la Marseillaise constamment reprise et selon laquelle la liberté - et la lutte contre l’oppresseur, ici l'Etat policier - mérite tous les sacrifices (d'où des aspects de plus en plus nationalistes). Le caractère soi-disant "juste" des guerres ou des révoltes a toujours été le ciment du "peuple" ayant des revendications contradictoires. Pour conclure, on part de la détresse authentique de certains pour aboutir à toutes sortes de dérives antidémocratiques. On confisque les symboles et les valeurs de la république au profit de ce qu'il faut bien appeler, en fin de compte, une faction aux procédés dictatoriaux, sinon potentiellement totalitaires, servie en général par les grands médias (pour cause de spectacle rentable à livrer pour l'audimat) et pourchassant les journalistes critiques...
Réflexions collectives à partir d'un post de Jean-Luc Lamouché
Mise en forme des réflexions collectives par Jean-Luc Lamouché
Les noms relevés des intervenant par leurs commentaires dans le groupe facebook "Contre les populismes de droite et de gauche", et dans l'ordre alphabétique : Martine Bres, Evelyn J. Dano, Catherine Félix, Grainsdesables Dom, Xavier Josset, Bernard Martin, Laura Moreau, Brigitte Maroillat, Selena Orduna, Jacky Provence
5 février 2019
UN MOUVEMENT POPULISTE EN FRANCE
Catégorie : Actualité générale
Ce que certains observateurs appellent de plus en plus "jaunisme" est l'aspect spectaculaire - et ceci depuis maintenant plusieurs semaines et même mois - de l'essor d'un mouvement populiste à plusieurs têtes, en France. En effet, une partie importante des Gilets Jaunes sont (étaient en fait - surtout à l'origine) des gens qui n'avaient jamais manifesté, fait partie d'aucun syndicat, et encore moins d'un parti politique, et parfois même n'avaient jamais voté). C'étaient ceux qui, au niveau des ronds-points, le plus souvent pacifiques et axés au départ sur une revendication précise centrée essentiellement sur les taxes à propos de la hausse des prix des carburants, s'initiaient à une nouvelle forme de "politisation" fondée sur des slogans complètement contradictoires, certains faisant penser à des thèmatiques d'extrême droite et d'autres au contraire d'extrême gauche. A côté de ces Gilets Jaunes du "jaunisme" basique, il y avait bien sûr des forces militantes et sympathisantes issues des deux grands partis politiques populistes français : avant tout le RN (Rassemblement National) de Marine Le Pen et LFI (La France Insoumise) de Jean-Luc Mélenchon, dont les slogans commencèrent à se rapprocher de plus en plus ; sans oublier la course à la thématique d'extrême droite de Laurent Wauquiez au sein du parti LR (Les Républicains). Un mouvement populiste existe donc dans notre pays, mais la question que je devrais poser est la suivante : ce mouvement pourrait-il se cristalliser politiquement, à l'image de ce qui se passa au Venezuela, en Catalogne, et récemment en Italie, où les populistes d'extrême droite et ceux d'extrême gauche gouvernent en coalition depuis maintenant un certain temps ?
Mais, tout d'abord, qu'est-ce que le "populisme" (par rapport par exemple à ce que fut le Front Populaire en France entre 1936 et 1938), et à quoi peut-on le reconnaître, depuis l'époque du général Boulanger (vers la fin du XIXe siècle) ou du poujadisme (sous la IVe République), etc. ? Dans le populisme, il y a le rejet - voire la haine - envers les "élites" (au nom du "peuple"... quasiment sanctifié). Ces "élites" sont jugées "pourries" et "corrompues" dans leur ensemble ; ce qui est bien évidemment totalement faux. Rappelons-nous du "Tous pourris !" frontiste de Jean-Marie Le Pen, puis de sa fille Marine, et du "Qu'ils s'en aillent tous !" de Jean-Luc Mélenchon, qui fit grincer des dents chez les communistes vers 2013... ! Il y a là un processus de généralisation créé à partir d'un certain nombre de cas réels, indiscutables, qui, par le biais des "représentations", deviennent des archétypes ; en somme des images immédiatement opérationnelles. Il y a aussi, ce qui est lié au point précédent, une forme d'antiparlementarisme, avec la dénonciation de la démocratie représentative. On s'en prend à "ces feignants de députés, qui s'en metent plein les poches !", et "dorment à l'Assemblée - ce qui est encore très largement faux... C'est le très ancien : "Mais, qu'est-ce qu'ils foutent, eux, là-haut ?" (voir l'ouvrage du rad-soc Alain, sous la IIIe République, intitulé : "Citoyens contre les pouvoirs"). Dans le prolongement de ce livre, Marcel Gauchet a dénoncé il n'y a pas très longtemps le terrible jeu des grands appareils médiatiques, qui, pour faire de l'audimat, ne se situent plus en "contre-pouvoirs" (comme auparavant), mais en "anti-pouvoirs". Combien de français connaissent aujourd'hui le nombre de séances de nuit qu'un bon nombre de parlementaires (députés et sénateurs), sont amenés à faire, de même que ce qui concerne leur travail au sein des commissions (comme celles du budget ou des affaires étrangères, etc.) ? En somme, les députés et les parlementaires, "bavards inutiles", seraient "payés grassement à ne rien faire !"... A nouveau, faux, car on ne doit pas faire de certains cas une généralité.
Et puis, on a vu apparaître un basisme de ce que j'appellerais - et c'était inévitable - un grand n'importe quoi, vilipendant la démocratie représentative et prétendant être "le peuple" alors que l'ensemble des manifestants Gilets Jaunes n'étaient qu'une fraction du peuple (300.000 manifestants au maximum), et ceci même s'il y avait "soutien" (mais, quel est exactement le sens de ce mot dans un tel contexte ?) d'une partie très majoritaire de l'opinion publique. Il y a là quelque chose d'inquiétant pour la démocratie, nos libertés élémentaires, surtout lorsque des expérientations de propositions de RIC (Référendums d'Initiative Populaire) ont parfois abouti à la demande du rétablissement de la peine de mort, l'établissement de la torture par rapport au terrorisme, et le retour sur la loi permettant l'avortement (même si celui-ci est toujours un drame et ne peut en aucun cas - pour ce qui me concerne - être utilisé comme un moyen de contraception) ; "un drame" pour des femmes, c'est ce qu'avait dit Simone Veil lors du vote de la loi sur l'IVG (Interruption Volontaire de Grosesse) sous Giscard d'Estaing en 1975... Certains vont jusqu'à prétendre qu'avec le "jaunisme", ils seraient en train de faire "la révolution", ou une sorte de "nouveau mai 68"... ! Là, sauf pour une minorité (car les thématiques développées le montrent), il y a contradiction... mauvaise pioche... !
Pour les Gilets Jaunes du "jaunisme" originel, tout commença autour des taxes sur les carburants, ces gens faisant l'impasse sur le fait que c'était la politique de Donald Trump par rapport à l'Iran qui avait contribué à provoquer une bonne partie de l'augmentation du prix des hydrocarbures. Il faudrait aussi signaler qu'il y avait eu avant l'affaire de la limitation de vitesse à 80 km/h. Puis, progressivement, les revendications fusèrent dans tous les sens. La dénonciation de l'augmentation de la CSG (Contribution Sociale Généralisée) pour les retraités (CSG qui est pourtant l'impôt le plus juste socialement puisqu'il touche également le capital, et pas seulement le travail). Le déni du paiement des impôts (pour certains), fait gravissime ! Le RIC, dans des sens complètement contradictoires (entre la peine de mort et la torture d'une part et la démocratie directe du genre des "Nuits debout" d'il y a déjà un certain temps d'autre part). La baisse, voire la disparition, du nombre des parlementaires, et la diminution de leurs émoluments (un fantasme au moins partiel, même si). Surtout, on vit apparaître, à côté de l'ambiance bon-enfant des premiers ronds-points (pour ceux que j'ai appelés dans dans un autre article les "Gilets Jaunes familles"), une violence de plus en plus enragée. Et il ne faudrait pas croire que ce furent seulement les Blacks blocs ultra-anarchistes (qui font de la casse idéologique) qui en étaient les seuls coupables. En effet, des Gilets Jaunes de base se laissèrent entraîner par étapes dans la violence parce qu'ils étaient placés dans le cadre d'un phénomène que les psychiatres appellent "la toute-puissance", n'ayant même plus, au niveau de la plupart d'entre eux, la moindre idée sur les revendications à exiger... J'ajoute que les Gilets Jaunes qui tentaient d'être des porte-paroles du mouvement (qui, en fait, n'en n'était pas un, par inexistence de toute cohérence interne) étaient désavoués par d'autres, chacun aspirant à être le représentant de soi-même, et de tous. Ce phénomène gravissime fut le résultat de la montée de 30 ans (au moins) d'hyper-individualisme (le "moi d'abord !")... Cette violence - réelle et symbolique - alla jusqu'à se fixer sur une véritable haine envers Emmanuel Macron, avec ces effigies "daechisées" où l'on voyait le chef de l'Etat, égorgé selon les méthodes de la secte totalitaire sunnite ! Si un jour le Président de la République était assassiné (malgré l'existence d'un service de protection rapprochée de valeur), il ne faudrait pas s'en étonner... car du symbole à l'acte, quand le premier est aussi terrifiant, tout devient possible...
Passons à présent au "jaunisme" des partis populistes mélenchoniste, du RN de Marine Le Pen, de l'ultra-droite soralienne et autres, etc. Depuis plusieurs semaines, les observateurs et les arrestations avec mises en gardes à vue nous montrent des faits très importants - là aussi une évolution... Le populisme mélenchoniste est en recul dans le "jaunisme" global. En quoi puis-je affirmer cela ? Eh bien, c'est très simple. Il y a un peu plus d'un mois, les grands instituts de sondages français ont voulu voir s'il y avait "un effet Gilets Jaunes" dans le cas où des élections présidentielles - comme en 2017 - auraient lieu maintenant. Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec 28% des suffrages exprimés, soit quatre à cinq points de plus qu'en avril 2017, tandis que Jean-Luc Mélenchon descendait entre 13 et 14%, soit une perte équivalente - ce qui ne veut pas dire qu'il y aurait eu un transfert automatique de voix de l'un sur l'autre car l'électorat est depuis longtemps très volatile. J'insiste sur le fait que je ne donne pas ici les % d'un seul institut, mais de la moyenne de plusieurs (Elabe, Harris, Ifop, etc.). De plus, lors des contrôles des cartes d'identité, pour les gardes à vue, on voit depuis quelques semaines que l'on a affaire à de plus en plus de représentants de l'extrême droite populiste et de l'ultra-droite. Et puis - à titre personnel - je l'ai vu et entendu à Montpellier (où il y a quand même 500.000 habitants dans l'agglomération : elle est donc représentative), avec la montée des thémes vociférés et qui sont ceux du populisme d'extrême droite et de l'ultra-droite. En somme, LFI perd pied dans le cadre de ce que Mélenchon voulait tenter de faire : tirer les marons du feu d'une crise de régime allant jusqu'à quel franchissement éventuel de limite... ?
La grande question... une cristallisation politique est possible, qui irait, au sommet, de la droite dure et de l'extrême droite et ultra-droite populiste jusqu'au populisme de gauche ? Ce qui amènerait à dire oui, c'est le rapprochement de certains thèmes qui sont lancés lors des manifestations du samedi. Il y a la dénonciation du "système", aussi bien en France qu'en Europe et dans le monde, avec en plus une dose de théorie du complot ! Et il y a le cri : "Macron, Rotschild !" - et non pas Macron, banquier... ! ce qui est pour certains très significatif... Mais, ce qui ne peut, à mon avis, que nous amener à répondre non, c'est tout l'héritage de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, issu de 1789, et qui devrait résister à cette vague politiquement oxymorique. En effet, et malgré la relative "doriotisation" de Mélenchon, si des éléments importants de LFI se rapprochaient politiquement de l'extrême droite (RN de Marine Le Pen, etc.), cela ne pourrait que provoquer l'implosion du mouvement mélenchoniste. Simplement - et ce serait fondamental - parce que tout dépendrait de ce que des militants et sympathisants des Insoumis feraient passer en premier : soit leur rejet du "système" (comme les populistes d'extrême droite), en rapport avec l'évolution de plus en plus nationaliste de Jean-Luc Mélenchon, ou la lutte prioritaire justement contre le danger nationaliste, ce qui ne pourrait que provoquer chez une partie de LFI (pour quel % ?) la volonté de lutter prioritairement contre la montée partout en Europe et dans le monde du nationalisme - car le nationalisme, c'est la guerre (pas mondiale, mais). Cela pourrait même correspondre, chez les mélenchonistes, à une rupture générationnelle (les plus jeunes priorisant "l'anti-système" et les plus âgés "l'anti-nationalisme", fondé sur un ancien réflexe "antifasciste" de type "républicain"). Je rappelle qu'en 2017, ce fut seulement un électeur de Mélenchon sur deux qui vota pour Emmanuel Macron au second tour afin de faire barrage à la candidate nationaliste Marine Le Pen, et que, de plus, 16% de ces mêmes électeurs de Mélenchon du premier tour avaient voté... pour Marine Le Pen...
L'avenir, pour 2022, ou la fois suivante, en 2027, répondra peut-être à cette question avec la plus grande précision... Certains pourraient dire toutefois : "Mais, Macron dégagera avant !". Il y a plusieurs problèmes qui se posent par rapport à ceux qui affirment si légèrement un propos de ce type. D'abord, même si le pouvoir Exécutif est actuellement faible en France - ou au moins en tout cas très affaibli -, l'Etat (la gendarmerie, la police, les institutions) est traditionnellement fort, voire très puissant. C'est d'ailleurs bien pour cette raison - je pense notamment à la réforme de nos institutions (qu'il faut envisager de faire le plus tôt possible, mais certainement pas maintenant, dans la précipitation et les troubles que nous traversons) - que le RN et LFI exigent tout et tout de suite sur ce plan... Je dirais pour finir que ce devraient être Voltaire, Diderot, Montesquieu, Rousseau, etc., qui nous servent intellectuellement de barrages par rapport à l'éventualité d'une alliance entre les populistes d'extrême gauche et les populistes d'extrême droite, plus des Gilets Jaunes qui se seraient structurés en parti politique crédible dès les européennes de mai 2019 ; ou bien alors, cela voudrait dire que la "génétique politique française" serait en train de sombrer totalement dans le gouffre du pire... ! Nous avons, je le crois toujours, ce que j'appelle des "anticorps démocratiques". La sympathie de départ de l'opinion publique française à l'égard des Gilets Jaunes pris dans leur ensemble recule de semaine en semaine en raison de la montée de la violence dans certaines grandes villes. La semaine dernière, les instituts de sondages français, qui sont les meilleurs du monde (contairement à ceux des Etats-Unis), donnaient un chiffre moyen de sympathie légèrement inférieur à 50% envers le "jaunisme" alors qu'il monta jusqu'à 72% à ses débuts... Plus les violences auront lieu, plus les ultras-radicaux auront pignon sur rue, augmentant leur activisme, notamment pour des raisons de pertes de niveau de vie dans certains milieux économiques du type commerçants ou autres, etc., et plus la sympathie envers le "jaunisme" continuera inévitablement de chuter...
Jean-Luc Lamouché
22 janvier 2019
GILETS : LE TRI DANS L'ARMOIRE...
Catégorie : Actualité générale
Groupe de Gilets jaunes en novembre 2018
Vous savez, cette obligation de tri - cette envie aussi pour y voir clair, qui nous prend devant l'armoire : ceux-là, la laine ; ceux-ci, le coton ; ces verts-là ; ces bleus-ci... trier, faire des tas dans les vêtements empilés un peu foutoir-armoire parce que ça faisait longtemps, trop, qu'on posait tout à la va-comme-je-te-pousse... On rangerait plus tard... Trier ces gilets, donc, comme ces jours-ci, cette nécessité de finir par voir qui est qui dans les Gilets des carrefours. Parce que leur drapeau, leur panoplie simple et directe comme la vie de beaucoup d'entre eux, le gilet jaune qui habite sous tous nos sièges arrière, c'est évidemment un peu juste pour dire qui ils sont, et également, ce qu'ils portent comme cri, colère, et demandes, tous ces gens, qui à présent font partie des conversations de tout un chacun, vous, moi, le voisin, le maire, le commissaire, et le préfet, et "là-haut", "tout là-haut", à priori hors-de portée des gueulantes, ceux qui gouvernent le pays...
C'est qui, ces Gilets, au bout ? J'ai fait partie des méfiants, qui, au début, en reniflant le plat, ont posé ce - facho en devenir, populiste en graine, remugle de poujadisme, à minima. J'avais souvenance précise de ces bretons chouanisants des Bonnets (rouges, en plus) de l'an 2013... Les analyses et les rappels historiques sont à présent partout, et soulignent les parentés, les symptômes convergents. Sûr, il y a jacquerie sous le gilet, ces montées de fièvre, venues des fonds des sociétés, criant leur faim, leur désarroi, se disant "à bout", et portant selon l'époque, au-dessus de têtes échevelées, et bien fatiguées, les bâtons et les fourches, "frères" des Gilets , et de leur bouchon de réservoir d'essence au bord des palettes tristes à mourir des périphéries des villes. J'ai rejoint ces agacés devant les médias relayant l’événement, au point qu'on peut se demander parfois s'ils ne le pilotent pas. Mais, "après", comme on dit maintenant à tous bouts de champ, peut-on supprimer réseaux sociaux et médias... ? faire avec, les apprivoiser, savoir les lire et les utiliser suffisant amplement. Les carrefours bordés des Lidls et autres Géants, leur paysage de caddies jamais pleins pour eux, sont à l'évidence le quotidien de tous les Gilets, ou presque. Faire ses courses à petites bouchées gourmandes au cœur des villes, c'est pour d'autres, qui ont les moyens et le temps. Et puis, finalement, d'émission en débat, de regard pertinent de sociologue en avis de politique ou de géographe, j'ai regardé de plus près. Et le tri s'est imposé, comme - me direz-vous - en tout phénomène social de masse que guette une généralisation presqu'aussi dangereuse que certains dans ces mouvements.
Je laisse de côté - ils existent, ils s'agitent, on les repère facilement - les missionnés du Rassemblement National et autres Debout-la-France, plus peu, me semble-t-il, de radicaux de la gauche extrême (le discours des Gilets n'est pas de ce registre). Quant aux casseurs, c'est à présent l'inévitable danger de toute manif un peu copieuse. Voyons donc d'autres "tas". Un de mes artisans - la trentaine compétente et le bagou facile -, s'il n'est pas "marcheur gilet", martèle... qu'ils ont raison ! et fait dans le mouvement par procuration. Il ne peut s'absenter de ses chantiers, mais il se sent parfaitement des leurs : trop de taxes, d'impôts, a besoin impérativement de son véhicule pour travailler à bien 30 km de son domicile (maison dans village ; il en est propriétaire, mais paye surtout des prêts) : cette camionnette, ça suce ! Et à la pompe, le prix est le même que pour moi, retraitée qui ne prend ma voiture que pour aller marcher à la mer. On l'entend encore tempêter contre "les politiques, tous nuls !", et il y a peu, un discours appuyé sur Cahuzac et ses comptes en Suisse, avait je ne sais quel parfum brésilien. Il voit de l'argent passer - lui et sa compagne qui travaille également -, gagnant trop pour les aides... et vous ne serez pas étonnés des vitres qui tremblent quand passe le RSA du quartier, et ses copains "assistés". A côté, pour autant, c'est le même gars qui déplore avec un rien d'emphase le manque d'empathie et de démocratie de cette société ("cette", comme s'il n'en était pas)... Mais ce qu'il encaisse ne reste pas, dit-il : les taxes, les impôts, les prêts ? Le niveau de vie plutôt pas si mal pour si jeune ? largement plus haut que celui de feu mon père à la fin de son activité de petit entrepreneur du bâtiment... ça, c'est moi qui le dit. Un mot revient en boucle, celui de "privilèges", comme un orage pré-révolutionnaire ; il en voit partout autour de lui ; lui, qui à l'entendre, n'en aurait pas... Il sait que j'étais enseignante, alors, il fait un break dans son discours et laisse la haine du fonctionnaire pour un autre comptoir...
Frustrations bien plus que colère ; et tout ça bellement composite. Et la violence ? - que voulez-vous... ! On en a marre... ! Loin, à l'autre bout de mon artisan, et toujours Gilet, aux infos du soir, une femme - petite trentaine, là aussi ; beau visage presqu'impassible dans le dit de ses souffrances : simples comme misère ; trois petits enfants, le père dont on ne parle pas (cet - elle élève seule... qui, vous l'aurez remarqué, fait l'antienne des femmes Gilets) et à peine 1.000 Euros mensuels, dont on se demande, médusés, s'il faut compter ou non les allocs dans le total. Un peu d'intérim de temps à autre pour n'être pas totalement au fond de la rivière ; elle sait - elle compte -, et dit posément, les yeux calmes, que ça doit faire, quoi, 100, quelquefois 150 en plus. Elle vit dans un village du Nord - pardon, des Hauts-de- France, et pour avoir un peu vécu dans cette région de souffrances et de fierté mêlées, je peux comprendre cette dignité avec laquelle elle pose, sans aucune forfanterie, tricherie, ni "vu à la TV", d'une voix grave et tenue, "sa" vie, son obligation d'avoir un véhicule (elle ne dit même pas voiture). Elle dit que les Gilets, bien sûr, pour se faire entendre, et nous, on entend qu'elle ne le croît qu'à peine. Elle, c'est de la désertion de tous ces services publics dans sa campagne brumeuse, dont elle parle ; plus de poste, l'hôpital si loin, l'école menacée ; quant à la bibliothèque... elle, elle veut des impôts, mais justement utilisés pour ses gamins, et elle ne sait pas bien "là-haut", ce "qu'ils" en font... ? On n'est pas là dans du plus et du encore plus pour moi, et tant pis pour les à côtés ; elle parle encore une langue ancienne ; celle du collectif et du tous ensemble. Difficile d'être plus éloigné de l'autre Gilet...
J'ai été frappée par toutes ces femmes Gilet - une chronique à elles seules, reflet de la société, de celle des périphéries, des campagnes enclavées, de celle d'une misère en voie de... (pas de SDF, ni de prolétariat net dans ces gens, plutôt une descente en action ; comment disait-il le Président ? - dans les halls de gare, il y a ceux qui prennent le train et ceux qui ne sont rien). C'est cette image de la marche des femmes échevelées sous la pluie, en Octobre 1789, qui me vient à l'esprit en voyant cette marche des femmes de Novembre. Celles qui allaient à Versailles dire au Roi ce qu'elles vivaient de privations et de malheurs, sont proches de celles qui veulent monter à Paris, "parler à Monsieur Macron". C'est du tout mélangé, c'est du tout-problèmes, mais il y a encore ce "Monsieur" qui sent l'école républicaine et ses valeurs, mais pas partout dans le mouvement, et pour combien de temps encore... ? Quand je faisais mes lointaines études d'Histoire, on avait un livre fort : "Classes laborieuses, classes dangereuses", de Louis Chevalier - sur le XIXème siècle. J'espère, pour Emmanuel Macron, que l'édition existe encore. Il a d'ailleurs utilisé le mot "classes laborieuses" l'autre jour dans un discours par ailleurs largement plat.
Il sait lire - ça... ! Mais il a peu de temps pour boucler sa copie, le Président...
Martine L Petauton
29 novembre 2018