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Poésie


ROBERT MARTIN : "LE SOUVENIR DE SOI"...

 

 

Catégorie : Poésie

 

 

 

 

 

Robert et sa femme Jackie durant l'été 2017

 

 

 

 

   D'abord, quelques-uns de tes beaux poèmes, Robert, des textes qui étaient déjà remplis de l'idée du "grand départ", toi qui affronta avec un moral hors du commun une terrible maladie, pendant plus de 20 ans, une maladie qui finit par te vaincre il y a quelques jours. Mais, "Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ?" (1)

 

 

   "Certitudes

 

Je sais qu’un jour

L’argent des fougères

L’or des genêts

Feront revivre mes souvenirs

 

Je sais qu’un jour

J’irai boire l’eau des fontaines du ciel

Piller le jardin des étoiles

Accrocher des fils à la lune

 

Je sais qu’un jour

Je regarderai les murs où rit le passé

J’approcherai un goéland apprivoisé

Il me parlera de toi"

 

   "Absence

 

Étincelle qui ne tourbillonne plus

Dans l’âtre rougeoyant d’un foyer

Moment d’un passé qui s’éparpille

Pour devenir une vision fugitive

Instant abandonné

Espoir chargé de lourds nuages

Cœur qui se ferme lentement"

 

 

Recueil "La nostalgie de l'Arc-en-ciel"

 

En vente auprès de son auteur, et maintenant de sa famille

Contact possible par lamouche.jeanluc34@gmail.com

 

 

   Je viens de voir "partir" Robert, un ami très cher, que j'avais perdu de vue depuis très longtemps, mais qui était resté dans mon cœur. Pas seulement "parce que c'était lui, parce que c'était moi" (2), et je voudrais, après avoir publié quelques-uns de ses superbes poèmes, parler, sous la forme d'une sorte de "lettre", de qui tu étais, Robert, et de la façon dont nous nous étions rencontrés en 1974-1975 (puis retrouvés plusieurs fois, en Corrèze ou dans le Vaucluse), dans ce département du Nord, déjà touché par les débuts de la crise de la vallée de la Sambre. C'était lorsque la sidérurgie commençait à péricliter,  et ma rencontre avec toi, Robert, eut lieu en compagnie de mon épouse Martine et de celui qui devint un autre ami, Gérard, puis de sa femme Claudette ; Gérard, que Robert nous fit alors connaître ; et nous fîmes la connaissance de ton épouse Jackie... C'était précisément pendant les premiers mois qui suivirent la rentrée scolaire de l'année 1974-1975, et nous étions très jeunes...

 

   Robert..., Martine, Claudette, Gérard, et moi, étions ensemble pour "t'accompagner" vers ce qu'il est coutumier d'appeler "la (ta) dernière demeure" -, nous qui avions eu le grand privilège de compter parmi tes très nombreux amis. Cela se passait dans l'église d'une petite ville du Vaucluse que, par pudeur, je ne citerai pas. Lorsque nous rentrâmes dans la nef, il y avait plusieurs centaines de personnes, et dans un recueillement impressionnant... C'est parce que tu t'étais tellement investi, Robert, d'abord dans ton métier, après avoir fait des études d'Histoire, toi qui devint documentaliste, et qui contribua, à un niveau régional (l'académie d'Aix-Marseille), et national, à donner le lustre mérité à ce beau métier au contact des élèves, qui t'aimaient - et ce verbe n'est pas trop fort (puisque c'était aussi bien sur le cas pour ton épouse Jackie, de tes enfants et petits-enfants, et de tes amis)... Tu contribuas à la mise en place, au niveau national, d'un CAPES pour les documentalistes, tu jouas un grand rôle dans le cadre de l'IUFM (Institut Universitaire de la Formation des Maîtres), et tu devins aussi un conseiller pédagogique hors-pair pour un grand nombre de stagiaires-documentalistes...

 

   Et puis, parallèlement, et avec l'arrivée de la "retraite", qui n'en fut pas du tout une pour toi - qui étais ce militant universel de tous les combats républicains, humanistes, municipaux, ceux du monde associatif, et ce poète d'une très grande valeur -, tu t'engageas dans de multiples actions, assurant souvent des présidences d'associations, sans oublier ton investissement citoyen dans le socialisme démocratique en menant une lutte farouche contre les thématiques haineuses du Front National - si puissantes dans ton département... Dans l'église, l'émotion était à son comble. Je savais que j'allais être très triste, car tu venais de "partir" pour passer "de l'autre côté du rideau" (3), Robert ; mais jamais je n'aurais cru que j'allais pleurer autant hier après-midi... tout en espérant que, comme l'avait dit... "le poète"... dans un tout autre contexte : "Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange, Un jour de palme un jour de feuillages au front, Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront, Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche" (4)...

 

   Avant d'entrer dans l'église, avec Martine, Claudette, et Gérard, j'avais rappelé, alors que nous prenions un café, comment quatre d'entre nous s'étaient rencontrés pour la première fois, Robert, en ce premier trimestre de l'année scolaire 1974-1975, dans la tour où nous habitions, Martine et moi, à Hautmont, cette petite ville de la vallée de la Sambre, située tout prêt de Maubeuge, et qui fut notre premier poste double dans le cadre de l'académie de Lille - en tant que professeurs d'Histoire-Géographie et d'Education Civique. Tu arrivas donc ce jour-là, accompagné par Gérard, dans notre petit appartement du type HLM de qualité (et flambant neuf). J'avais 25 ans et  toi quelques années de plus. Je faisais partie de la "génération d'Epinay" (5), ces nouveaux jeunes socialistes marxisants très à gauche qui peuplèrent alors le nouveau Parti Socialiste et ayant trouvé un leader en la personne de François Mitterrand - un parti politique qui signa le Programme Commun de gouvernement en 1972, d'abord avec le Parti Communiste Français de Georges Marchais, puis avec le petit Parti des Radicaux de Gauche (PRG). Au bout de moins d'un quart d'heure, je "claironnais" (rire...) vers toi, Robert, mon appartenance idéologique, Gérard étant à l'écoute mais non directement concerné par le Parti Socialiste et donc par ce qui va suivre... Robert, je t'avais déclaré en effet, avec fierté : "Je suis au PS, tendance CERES !" (6). Et, dans la foulée, tu me répondis, avec ton mélange - que j'appris à connaître assez vite - de douceur tranquille, de regard amusé, et d'énergie pouvant être explosive : "Moi aussi !"... Et je poursuivais en disant : "Mais, CERES aussi ?"... Et toi, Robert : "Ben oui, bien sûr !"... Et moi, encore : "Alors, ça ! Mais pas très étonnant, hein ?"... Comme une envie d'éclater de rire pour de bon, tous les deux...

 

   Nous devinrent très rapidement des amis, et, avec d'autres militants du nouveau Parti Socialiste, issus pour l'essentiel du secteur tertiaire (notamment de l'Education nationale), nous avions pris assez vite le contrôle de la section socialiste d'Hautmont, jusqu'alors majoritairement très anticommuniste (bien que socialement de tradition ouvrière) et soutenant un maire et son conseil municipal du type "troisième force" (7). Tu savais que Gérard (comme Claudette), n'était (n'étaient) pas au PS (et Martine n'avait pas encore adhéré au Parti Socialiste à cette date), mais plutôt libertaires, relativement proches d'un vote possible pour le PSU (8) de Michel Rocard - à l'époque où celui-ci se situait à l'extrême gauche, dans le cadre d'un socialisme autogestionnaire très radical. Par la suite (dès l'année 1975), alors que, quant à moi, je demeurais CERES, tu te souviens évidemment, Robert, que tu avais évolué vers le rocardisme au moment des "Assises pour le socialisme", lorsque qu'un Michel Rocard très assagi rejoignit le PS en compagnie de très nombreux chrétiens marqués à gauche, notamment au sein de la CFDT (9). Je n'ai d'ailleurs pas oublié que Jackie et toi, vous aviez reçu Rocard chez vous, dans votre maison d'Hautmont. D'ailleurs, nous étions allés notamment à une réunion du PS qui s'était déroulée à Maubeuge en la présence de Michel Rocard, mais aussi de Pierre Bérégovoy - avec lequel nous avions beaucoup travaillé un peu après (particulièrement à propos de la "Révolution des Oeillets" du 25 avril 1974 au Portugal et de ses suites), et qui connut beaucoup plus tard le sort dramatique que nous connaissons tous...

 

   Comment ne pas dire juste quelques mots quant aux aspects spirituels religieux te concernant, quand je t'avais connu, Robert (ne sachant pas si tu évoluas dans un autre sens par la suite) ? Au fur et à mesure, tu m'avais dit que toi et Jackie, vous étiez des catholiques pratiquants progressistes, contrairement à moi qui, à ce moment-là, étais indifférent quant à ces questions. C'est beaucoup plus tard que je te rejoignis également sur ce plan... Je me suis demandé pourquoi ces pleurs aussi forts pour moi hier à l'église, lors de ton "départ", même si je savais, en arrivant sur le parvis, que l'émotion serait très présente pour moi et notre groupe d'amis... Il y eut plusieurs éléments qui me bouleversèrent... D'abord, la mention et la lecture par le prêtre d'un des poèmes écrits par toi, Robert, et dont le titre était... "arc-en-ciel", soit pour moi de très nombreuses résonances ; une très personnelle (que je ne peux pas expliciter), une autre en rapport direct avec un passage célèbre de l'Ancien Testament (10) ; et enfin une dernière correspondant à l'image opératique de ce même arc-en-ciel que l'on retrouve au sein de "La Tétralogie" (ou "Der Ring des Nibelungen"), de Richard Wagner" (11)...

 

   Ensuite, Robert, j'ai ressenti fortement mon regret de ne pas t'avoir contacté pour te revoir plusieurs fois avant que la maladie ne te submerge puis finisse par t'emporter... Enfin, à côté de nos moments de complicité politique, il y avait eu ce jour où, dans la maison de notre village de Corrèze (pour Martine, Cédric, et moi, et en présence de Jackie et de tes enfants), nous nous étions assez durement affrontés - car toi et moi nous étions (nous sommes...) des hommes de conviction, donc parfois très fermes sur ce terrain-là. Il s'agissait d'oppositions à propos de conflits idéologiques entre le CERES et les rocardiens. Il faut dire que le CERES de Jean-Pierre Chevènement et de ses trois compères (12) qualifiaient les rocardiens de "gauche américaine", donc de a-marxistes, ce qui n'était certes pas un compliment dans l'esprit des marxisants du CERES, dont je faisais toujours partie (nous étions, je pense, dans les années 1990). Quant aux rocardiens, ils invectivaient les militants de la tendance CERES comme étant des "archaïques"... (13) Il y avait là en réalité l'opposition entre la "première gauche", de tradition jacobine, et la "deuxième gauche", de conception girondine (14). Mais, grâce à Jackie, la réconciliation arriva vite entre nous deux, Robert...

 

   Voilà, Robert, je vais te "quitter", mais seulement pour aujourd'hui, pour un "au revoir", car je sens ta présence, et, de toute façon, je vois ton sourire amusé, mais jamais moqueur, car fondamentalement bienveillant, sans oublier Jackie - que j'embrasse tendrement, ainsi que tes enfants (vos enfants), et tes petits-enfants (vos petits-enfants)... et je finis par te faire une promesse, Robert : celle de revoir Jackie dès que cela sera possible pour elle, qui t'aimait (t'aime) tellement... Tu avais réuni dans ta personnalité et tes actions d'engagements citoyens et spirituels ce que l'on pouvait trouver de meilleur dans les valeurs de l'humanisme républicain socialiste et chrétien... Je t'embrasse fraternellement...

 

A l'adresse de Claudette, Martine, Gérard, et de mon fils Cédric, sans oublier les habitants d'Hautmont, cette petite ville de la vallée de la Sambre qui fut celle, Robert, de notre jeunesse militante, au service désintéressé de l'humanisme du socialisme démocratique...

 

 

 

 

Pour Robert Martin...

Jean-Luc Lamouché

 

 

 

22 mars 2019

 

 

 

(1)- Paul, Première épître aux Corinthiens - 15, 51-58

(2)- La célébre formule pour Montaigne et La Boétie

(3)- Extrait du texte d'un air de "Werther" dans l'opéra éponyme de Jules Massenet

(4)- Extrait du poème d'Aragon "Un jour, un jour"

(5)- Le congrès d'Epinay-sur-Seine se déroula en juin 1971 et fut celui de l'unification des familles de pensée socialistes, en dehors du PSU (Parti Socialiste Unifié animé par Michel Rocard) sous la direction de François Mitterrand

(6)- Le CERES (ou Centre d'Etudes, de Recherches et d'Education Socialiste), qui contribua à la victoire de François Mitterrand lors du  congrès d'Epinay-sur-Seine, était la tendance la plus à gauche - de type marxisante - du nouveau PS

(7)- La "troisième force", sous la IVe République, et à l'époque de la Guerre froide, fut une alliance entre l'ancien Parti Socialiste SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et des forces politiques centristes

(8)- Le PSU (ou Parti Socialiste Unifié) était une petite organisation politique dirigée jusqu'en 1975 par Michel Rocard, se situant à la gauche du Parti Socialiste et étant structuré entre de multiples tendances avec un caractère prioritaire de laboratoire d'idées pour la gauche non-communiste

(9)- La CFDT (ou Confédération Française Démocratique du Travail) se sépara de la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) en 1964 sur une double base de déconfessionnalisation par rapport à l'Eglise catholique et des conceptions politiques marquées à gauche

(10)- Dans la tradition issue de la Bible, après le "Déluge", Dieu, soit "Yhavé", passa alliance avec les hommes et promit de ne plus jamais détruire ses "créatures", un nouveau monde s'annonçant par l'apparition d'un "arc-en-ciel"

(11)- Dans le "Prologue" de "La Tétralogie" (ou "Der Ring") de Richard Wagner, soit "Der Rheingold" (ou "L'Or du Rhin"), après que le dieu du tonnerre Donner ait chassé les nuées, un arc-en-ciel apparaît permettant au roi des dieux Wotan et à l'ensemble des divinités d'accéder à la forteresse du Walhalla

(12)- Le CERES était dirigé par quatre personnalités marxisantes : Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane, Pierre Guidoni, et Georges Sarre, sachant qu'actuellement seuls Jean-Pierre Chevènement et Georges Sarre sont toujours de ce monde

(13)- Depuis 1905, avec la création du PSU SFIO (Parti Socialite Unifié Section Française de l'Internationale Ouvrière - la IIe Internationale), il y eut toujours cette forte opposition entre les anciens (ou "archéos), gardiens de la doctrine marxiste ou marxisante, et les modernes (ou "néos"), partisans d'un renouvellement profond du socialisme français

(14)- Depuis la Révolution de 1789-1793, la gauche française se divisait entre centralisateurs jacobins et décentralisateurs girondins, d'où le maintien d'une double tradition de "première gauche" et de "deuxième gauche"

 


22/03/2019
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