"I AM A MAN" ET SON ACTUALITÉ
Catégorie : Expositions
Exposition photos sur les luttes pour les droits civiques dans le sud des États Unis - 1960/ 1970 au Pavillon Populaire de Montpellier jusqu'au 6 Janvier 2019
Le Pavillon populaire de Montpellier est depuis quelques années une des toutes premières places de France en matière d'expos photos, et c'est toujours un événement. Riches, gratuites, chacune de ces expositions - 3 par an - marque un temps majeur et fort dans le champ culturel. Cette année 2018-2019 a été organisée depuis le printemps autour d'un thème : "photos et histoire", décliné en un triptyque ; "Aurès année 1935", "un dictateur en images et regards sur les ghettos", que conclut jusqu’en Janvier 2019 "I am a man" ; les trois séquences s’avérant magistrales. Il s'agit donc ici, comme dans les expos précédentes, de la photo document ; qu'on n'y cherche pas les effets et procédés des autres genres. Elles sont issues d'albums d'amateurs, du photojournalisme, et de quelques photographes internationaux. Toutes en noir et blanc ; quelques rares clichés couleur. Comme d'usage au Pavillon Populaire - merci au talent de Gilles Mora, son directeur artistique -, la mise en scène de l'expo déroule un parcours chronologique, et inserre de très grandes reproductions signifiantes et en perspective dans le cheminement, qui ne sont pas sans nourrir l'émotionnel qui nous guide dans un silence attentif de tous les visiteurs.
L'expo est architecturée autour d'étapes propres à l'obtention de droits civiques pour les Noirs, après qu'un 1er chapitre nous ait montré le sud des États-Unis au début des années 60 : vie quotidienne pauvre marquée par la ségrégation systématique, digne de cet apartheid sud-africain plus présent à nos mémoires. On est - quoi - 50 ans en arrière, autant dire hier dans ces clichés, pas si loin de l'esclavage d'Autant en emporte le vent ; comme le son d'une radio, baissée mais pas éteinte. Ces marches - toutes populations noires, âge et sexe confondues, plus quelques blancs, dont on ne mesure pas forcément le courage du militantisme - alternent ceux qui avancent, souvent face à la police, et ceux qui regardent passer, en soutenant avec ou sans pancartes, sans oublier ces silencieux, curieux, qui feront l'opinion de demain. Manifestations à risque - photos de violences et de morts -, parfois sur des distances fort longues, qui commencent par les freedom rides dans le Mississippi en 61, nous emmènent en Alabama (pour Selma) en 65, passent par la grève des éboueurs de Memphis (68), bien entendu la marche sur Washington en 63 couronnée de sa photo trophée : la foule, l'obélisque, la Maison Blanche... l'entrée de James Meredith , 1er noir à accéder à l'université (celle du Mississipi) en 62, est évoquée, comme la marche contre la peur de Meredith à Jackson (66). Enfin, la marche des pauvres du Mississippi à Washington et ses convois tirés par des mules ; chariots habillés du "I have a dream" (68). Hautes figures du mouvement : en dehors de celle de Meredith, évidemment, celle du pasteur Martin Luther King ; toute une séquence est d'ailleurs consacrée à son discours et à son assassinat au balcon du Lorraine Môtel à Memphis, en Avril 1968.
S’intercalent les photos de discours, de meetings des deux Kennedy, le président et son frère Robert, assassiné peu après Luther King. L'une d'entre elles représente l'ensemble des dirigeants noirs dont Luther King dans le bureau ovale auprès de John Kennedy avant que les lois des droits civiques ne viennent redonner à l'Amérique tout l'honneur qu'elle avait perdu. Tous sourient, comme une avant-garde de belles valeurs voulant incarner l'Amérique future, clean. Quelque chose, on le sait, d'une image d'Epinal, évidemment. Gardons de ce moment ce cliché d'une ancienne esclave de 105 ans s'inscrivant sur les listes électorales ! "yes she can !" dira un jour son descendant président... Ces photos - format assez grand très confortable à leur observation - ne sont pas silencieuses si nous le sommes, comme par respect en avançant ; elles bruissent, revendiquent, pleurent, rient aussi de la force de la vie et des victoires inéluctables ; et il y a tous ces regards d'enfants, de femmes, ces visages de leaders colorés de leur courage ; ainsi de ce mur de visages défilant aux obsèques de Luther King, qu'on se prend à saluer fraternellement en les regardant l'un après l'autre comme "notre" Amérique... ! Et puis les pancartes ; "I am a man" dit celle que reprend l'affiche de l'expo. Autrement dit : je compte ! Qu'on me considère enfin... quelle actualité brûlante ! Et bien au-delà des States ; "one man, one vote", dit cet autre slogan.
Mais, pas moins intéressant est le visage, le regard de l'adversaire, ainsi ces femmes de la bourgeoisie (petite) blanche de l'Alabama, qui campées sur des talons aiguille années 60, pomadées, brushées à la laque épaisse, osent brandir dans la rue d’infâmes slogans 100% racistes (seulement 50 ans avant nous, pense-t-on). Quant à ce cliché, toujours en Alabama, où une poignée d'hommes et une femme tiennent le drapeau confédéré, tandis que l'un d'entre eux fait un doigt d'honneur alors que passe la marche des droits. On les scrute , on les reconnaît tous ; pas une ride de différence. Grands parents des Trumpiens d'aujourd'hui, au même endroit ; immuables. Car voilà bien un autre volet-observation de l'expo ; faire le pont avec aujourd'hui, et certes mesurer l'avancée de la minorité noire, devenue pour une part importante bourgeoisie, avec laquelle il faut compter, mais se pencher sur les autres, notamment les Latinos, et peser ce qui reste à faire. Puis constater, le cœur en berne, en arpentant l'étage de l'expo consacrée au Ku-Klux-Klan, qu'il est encore d’étranges résonances, et que les braises fumantes sont parfois avivées au plus haut du pouvoir américain actuel. Quelques photos couleur nous prennent à la gorge ; militants en panoplie blanche arpentant les rues face à des noirs apeurés, avant que d’allumer les grandes croix ; le dragon kkk, son chef en 64, Bob Jones, haranguant des foules de familles de base, blanches, mais si ordinaires ; le tout venant de l'époque et de la nôtre ; à peine davantage... C'est stressés, mais concernés, qu'on quitte cette expo inédite. Son commissaire, William Ferris, issu du Mississippi, et d'une famille antiségrégationniste, posera l'expo à Washington en avril 2019 et à Johannesburg en septembre. Bon vent aux belles valeurs nécessaires, portées par la photographie, et le sens qui lui est propre.
Martine L Petauton
22 novembre 2018
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