PSYCHO-HISTOIRE : "L'EXPERIENCE DE MILGRAM"...
Catégorie : Psychologie
Stanley Milgram (1933-1984)
Je pense qu'il est probable que trop peu de personnes (notamment pour ce qui concerne les plus jeunes, et n'ayant pas fait d'études de Psychologie, Philosophie, Sociologie, ou d'Histoire) aient entendu parler de ce qui eut lieu aux États-Unis durant les années 1960-1963, et qui fut présenté comme étant une "expérience" fondée sur des "tests psychologiques", tout ceci sous le couvert d'annonces dans un journal (afin de trouver des volontaires), et en présence de nombreuses "blouses blanches", un peu équivalentes à celles que l'on pouvait trouver dans un hôpital, ou une clinique, un élément plutôt rassurant. J'ajoute le fait que le très bon film français "I... comme Icare", réalisé par Henri Verneuil, avec Yves Montand dans un rôle d'un procureur (un Attorney aux Etats-Unis) - avec une sortie en salle en 1979 -, reprit les bases de cette "expérience". On y trouve notamment une scène célèbre où le "bourreau" potentiel (je m'expliquerai plus loin) finissait par essayer de souffler de bonnes réponses (ou "valides") à la "victime" (même chose), tout en lui envoyant des décharges électriques, en raison des réponses "non... valides" de la "victime" en question... Mais, que s'était-il donc passé dans le cadre de "l'expérience" réalisée par Stanley Milgram, un psychologue à propos duquel je donnerai plus loin des renseignements un peu plus précis au niveau de cet article... ?
Autoritarisme et Autorité : deux concepts opposés ?
Ma première connaissance de confrontation au comportement d'êtres humains face à l'obéissance à l'Autorité - puisqu'il s'agissait de cela - eut lieu lors de mes études. Etudiant en Histoire à l’Université des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, j’avais pu assister à une conférence de Max Gallo, professeur d'Histoire en faculté, sur le fascisme italien (dont il fut l'un des spécialistes), un cours d'une durée d'environ 2 heures et au cours duquel il nous raconta, en liaison avec le slogan fasciste "Mussolini ha sempre ragione" (ou "Mussolini a toujours raison"), face à notre amphi pétrifié, ce qui s'était produit lors de ces "tests" américains du début des années 1960. Je vais y venir, mais je dois vous dire d'abord que mon traumatisme fut si grand que, dès les débuts de mon métier ultérieur de professeur d'Histoire, j’avais, chaque année (en classe de première et terminale), raconté et fait réagir mes élèves (stupéfaits, eux aussi !) sur ces éléments troublants. Exposons donc les faits. Il s’agissait de ce qu' l'on appelle depuis "l’expérience de Milgram". Stanley Milgram (1933-1984) était un psychologue social américain principalement connu pour cette "expérience de Milgram" (sur la soumission à l'autorité). Il était considéré alors comme l'un des psychologues les plus importants du XXe siècle. Il organisa ces "tests" à l'Université de Yale (New Haven, Etat du Connecticut). Il voulait mesurer le degré de soumission à l’Autorité, mais pas de n'importe quelle autorité... Ces "tests" furent présentés comme une d'expérience d’apprentissage sur la mémorisation. Les volontaires ("bourreaux" potentiels, totalement ignorants qu’ils seraient en réalité les cobayes de l’expérience) étaient rétribués et issus de milieux sociaux et culturels diversifiés. Il n’y avait que des hommes, entre 20 et 50 ans. Les "victimes" et les représentants de "l’Autorité" étaient tous des comédiens professionnels. Des questions, sur des listes des mots à retenir, étaient posées aux "victimes" potentielles, attachées à un siège muni d’électrodes, et, en cas de réponses non valides, le "bourreau" devait sanctionner la "victime" par une décharge électrique de plus en plus forte au cours du déroulement de "l’expérience"... C’était "la règle"… définie par l'Autorité... 636 "bourreaux" potentiels furent testés. Eh bien, sachez que si les électrodes avaient été vraiment branchées, plus des 2/3 des "bourreaux" cobayes seraient allés jusqu’à une obéissance maximale - occasionnant des lésions plus ou moins graves, ou même, dans un certain nombre de cas, le décès, pour les "victimes"...
Les liens avec l’histoire contemporaine au XXe siècle (et plus particulièrement avec celle des totalitarismes) furent analysés devant nous par Max Gallo. Il nous rappela alors aussi, en dehors du fascisme italien, quelle avait été la ligne de défense des dignitaires nazis lors du procès de Nuremberg en 1945-1946. A la question de savoir qui était "responsable" de la "Shoah", la réponse, nous le savons, avait été toujours la même : "Nous avons obéi aux ordres, comme des soldats". Ou bien encore : "Nous étions en service commandé". Soit une idée sous-jacente : nous faisions partie d’une machine (institutionnelle)… Or, qu’avaient dit les "bourreaux", à la fin de "l’expérience" de Milgram, juste avant le "debriefing", quand on leur disait "ce qu'ils avaient fait" ? Tout simplement : "Mais je ne suis pas responsable ! C’est la machine ! C'est vous !", insistant sur le fait que les "blouses blanches" leur disaient, par phases, et en montée progressive : "Veuillez continuer, s'il-vous plaît".... "L'expérience exige que vous continuiez"... "Il est absolument indispensable que vous continuiez"... "Vous devez continuer"... "Veuillez poursuivre"… J'insiste sur le fait que les "punitions" infligées par les "bourreaux" aux "victimes" s'étaient évidemment produites en l’absence totale de l'existence de tout système de répression du type de celui qui existe dans un régime totalitaire ! Mais, l’individu était seul, armé de ses valeurs plus ou moins compatibles avec ce que l'on exigeait de lui, face à la "machine" et à un milieu perçu par lui comme étant "légitime", il se trouvait ainsi dans un "état agentique" (un terme des psys voulant dire... au service de..., par rapport à la structure d’Autorité). Cela dit, un bon nombre de psychologues et de philosophes des sciences contestèrent la méthode employée par Stanley Milgram...
Ces "tests" avaient donc montré le pouvoir sur un nombre très important de cerveaux humains d'une Autorité habituellement vue comme normale, donc "légitime". Je rappelle que, quelques années après cette expérience de Milgram, tout fut au contraire remis en cause en ce qui concerna l'autorité en général (dans les familles, l'école, les universités, etc.) par mai 1968 et la période qui suivit. De nos jours, la situation est beaucoup plus complexe sur ce terrain, et je dirais même contradictoire. En effet, d'un côté, il y a une grave crise de l'autorité, surtout dirigée en demandes vers les autres (la plupart des Français - par exemple - ne supportant toujours pas l'autorité lorsqu'elle se manifeste par rapport à eux ou leurs propres enfants, ainsi à l'école ; sans oublier le déchaînement de l'agressivité qui se déchaîne sur les réseaux sociaux). De l'autre, il y a parfois, selon certains, la nécessité légitime d’organiser des contre-pouvoirs citoyens par rapport à l'autorité, lorsque celle-ci est vue comme pouvant risquer de franchir les limites qui ont été fixées par la loi et la Constitution. Enfin, il y a aussi ceux qui n'acceptent pas les lois et voudraient pouvoir les remettre en cause dès qu'elles ont été approuvées par le suffrage universel... Et tout ceci n'est pas qu'un phénomène français, mais européen, et même occidental - voire au-delà. Pour conclure cet article, n'oublions pas que seuls des citoyens conscients dans une démocratie refondée et élargie vers le participatif peuvent constituer des anticorps par rapport à la "faille" qui existe à l'intérieur de l'être humain. D'abord, e psychanalyste Carl Jung, ancien élève de Sigmund Freud, avait très bien conceptualisé notre "part d'ombre". Puis, Hannah Arendt (à l'occasion du procès contre le "criminel de guerre" et responsable de "contre contre l'humanité", le nazi Adolf Eichmann), développa sur une très longue durée ses analyses en rapport avec "La banalité du mal", sans arriver à être vraiment satisfaite de ses travaux - pourtant remarquables - sur ce vaste sujet à la fin de sa vie...
Eléments bibliographiques :
"Expérience sur l'obéissance et la désobéissance à l'autorité" - Stanley Milgram, La Découverte, 2017, 96 pages
"Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal" - Hannah Arendt, Gallimard, 1997, 484 pages
C'est dans cet ouvrage que la philosophe développa donc le concept de la "banalité du mal", et ceci en 1963, dans l'ouvrage suscité
"L’Italie de Mussolini : 20 ans d'ère fasciste" - Max Gallo, Perrin, réédition 1982, 424 pages
"I... comme Icare" - Film de Henri Verneuil, 1979, 2 H. 02 min
Jean-Luc Lamouché
25 septembre 2019
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