GILETS : LE TRI DANS L'ARMOIRE...
Catégorie : Actualité générale
Groupe de Gilets jaunes en novembre 2018
Vous savez, cette obligation de tri - cette envie aussi pour y voir clair, qui nous prend devant l'armoire : ceux-là, la laine ; ceux-ci, le coton ; ces verts-là ; ces bleus-ci... trier, faire des tas dans les vêtements empilés un peu foutoir-armoire parce que ça faisait longtemps, trop, qu'on posait tout à la va-comme-je-te-pousse... On rangerait plus tard... Trier ces gilets, donc, comme ces jours-ci, cette nécessité de finir par voir qui est qui dans les Gilets des carrefours. Parce que leur drapeau, leur panoplie simple et directe comme la vie de beaucoup d'entre eux, le gilet jaune qui habite sous tous nos sièges arrière, c'est évidemment un peu juste pour dire qui ils sont, et également, ce qu'ils portent comme cri, colère, et demandes, tous ces gens, qui à présent font partie des conversations de tout un chacun, vous, moi, le voisin, le maire, le commissaire, et le préfet, et "là-haut", "tout là-haut", à priori hors-de portée des gueulantes, ceux qui gouvernent le pays...
C'est qui, ces Gilets, au bout ? J'ai fait partie des méfiants, qui, au début, en reniflant le plat, ont posé ce - facho en devenir, populiste en graine, remugle de poujadisme, à minima. J'avais souvenance précise de ces bretons chouanisants des Bonnets (rouges, en plus) de l'an 2013... Les analyses et les rappels historiques sont à présent partout, et soulignent les parentés, les symptômes convergents. Sûr, il y a jacquerie sous le gilet, ces montées de fièvre, venues des fonds des sociétés, criant leur faim, leur désarroi, se disant "à bout", et portant selon l'époque, au-dessus de têtes échevelées, et bien fatiguées, les bâtons et les fourches, "frères" des Gilets , et de leur bouchon de réservoir d'essence au bord des palettes tristes à mourir des périphéries des villes. J'ai rejoint ces agacés devant les médias relayant l’événement, au point qu'on peut se demander parfois s'ils ne le pilotent pas. Mais, "après", comme on dit maintenant à tous bouts de champ, peut-on supprimer réseaux sociaux et médias... ? faire avec, les apprivoiser, savoir les lire et les utiliser suffisant amplement. Les carrefours bordés des Lidls et autres Géants, leur paysage de caddies jamais pleins pour eux, sont à l'évidence le quotidien de tous les Gilets, ou presque. Faire ses courses à petites bouchées gourmandes au cœur des villes, c'est pour d'autres, qui ont les moyens et le temps. Et puis, finalement, d'émission en débat, de regard pertinent de sociologue en avis de politique ou de géographe, j'ai regardé de plus près. Et le tri s'est imposé, comme - me direz-vous - en tout phénomène social de masse que guette une généralisation presqu'aussi dangereuse que certains dans ces mouvements.
Je laisse de côté - ils existent, ils s'agitent, on les repère facilement - les missionnés du Rassemblement National et autres Debout-la-France, plus peu, me semble-t-il, de radicaux de la gauche extrême (le discours des Gilets n'est pas de ce registre). Quant aux casseurs, c'est à présent l'inévitable danger de toute manif un peu copieuse. Voyons donc d'autres "tas". Un de mes artisans - la trentaine compétente et le bagou facile -, s'il n'est pas "marcheur gilet", martèle... qu'ils ont raison ! et fait dans le mouvement par procuration. Il ne peut s'absenter de ses chantiers, mais il se sent parfaitement des leurs : trop de taxes, d'impôts, a besoin impérativement de son véhicule pour travailler à bien 30 km de son domicile (maison dans village ; il en est propriétaire, mais paye surtout des prêts) : cette camionnette, ça suce ! Et à la pompe, le prix est le même que pour moi, retraitée qui ne prend ma voiture que pour aller marcher à la mer. On l'entend encore tempêter contre "les politiques, tous nuls !", et il y a peu, un discours appuyé sur Cahuzac et ses comptes en Suisse, avait je ne sais quel parfum brésilien. Il voit de l'argent passer - lui et sa compagne qui travaille également -, gagnant trop pour les aides... et vous ne serez pas étonnés des vitres qui tremblent quand passe le RSA du quartier, et ses copains "assistés". A côté, pour autant, c'est le même gars qui déplore avec un rien d'emphase le manque d'empathie et de démocratie de cette société ("cette", comme s'il n'en était pas)... Mais ce qu'il encaisse ne reste pas, dit-il : les taxes, les impôts, les prêts ? Le niveau de vie plutôt pas si mal pour si jeune ? largement plus haut que celui de feu mon père à la fin de son activité de petit entrepreneur du bâtiment... ça, c'est moi qui le dit. Un mot revient en boucle, celui de "privilèges", comme un orage pré-révolutionnaire ; il en voit partout autour de lui ; lui, qui à l'entendre, n'en aurait pas... Il sait que j'étais enseignante, alors, il fait un break dans son discours et laisse la haine du fonctionnaire pour un autre comptoir...
Frustrations bien plus que colère ; et tout ça bellement composite. Et la violence ? - que voulez-vous... ! On en a marre... ! Loin, à l'autre bout de mon artisan, et toujours Gilet, aux infos du soir, une femme - petite trentaine, là aussi ; beau visage presqu'impassible dans le dit de ses souffrances : simples comme misère ; trois petits enfants, le père dont on ne parle pas (cet - elle élève seule... qui, vous l'aurez remarqué, fait l'antienne des femmes Gilets) et à peine 1.000 Euros mensuels, dont on se demande, médusés, s'il faut compter ou non les allocs dans le total. Un peu d'intérim de temps à autre pour n'être pas totalement au fond de la rivière ; elle sait - elle compte -, et dit posément, les yeux calmes, que ça doit faire, quoi, 100, quelquefois 150 en plus. Elle vit dans un village du Nord - pardon, des Hauts-de- France, et pour avoir un peu vécu dans cette région de souffrances et de fierté mêlées, je peux comprendre cette dignité avec laquelle elle pose, sans aucune forfanterie, tricherie, ni "vu à la TV", d'une voix grave et tenue, "sa" vie, son obligation d'avoir un véhicule (elle ne dit même pas voiture). Elle dit que les Gilets, bien sûr, pour se faire entendre, et nous, on entend qu'elle ne le croît qu'à peine. Elle, c'est de la désertion de tous ces services publics dans sa campagne brumeuse, dont elle parle ; plus de poste, l'hôpital si loin, l'école menacée ; quant à la bibliothèque... elle, elle veut des impôts, mais justement utilisés pour ses gamins, et elle ne sait pas bien "là-haut", ce "qu'ils" en font... ? On n'est pas là dans du plus et du encore plus pour moi, et tant pis pour les à côtés ; elle parle encore une langue ancienne ; celle du collectif et du tous ensemble. Difficile d'être plus éloigné de l'autre Gilet...
J'ai été frappée par toutes ces femmes Gilet - une chronique à elles seules, reflet de la société, de celle des périphéries, des campagnes enclavées, de celle d'une misère en voie de... (pas de SDF, ni de prolétariat net dans ces gens, plutôt une descente en action ; comment disait-il le Président ? - dans les halls de gare, il y a ceux qui prennent le train et ceux qui ne sont rien). C'est cette image de la marche des femmes échevelées sous la pluie, en Octobre 1789, qui me vient à l'esprit en voyant cette marche des femmes de Novembre. Celles qui allaient à Versailles dire au Roi ce qu'elles vivaient de privations et de malheurs, sont proches de celles qui veulent monter à Paris, "parler à Monsieur Macron". C'est du tout mélangé, c'est du tout-problèmes, mais il y a encore ce "Monsieur" qui sent l'école républicaine et ses valeurs, mais pas partout dans le mouvement, et pour combien de temps encore... ? Quand je faisais mes lointaines études d'Histoire, on avait un livre fort : "Classes laborieuses, classes dangereuses", de Louis Chevalier - sur le XIXème siècle. J'espère, pour Emmanuel Macron, que l'édition existe encore. Il a d'ailleurs utilisé le mot "classes laborieuses" l'autre jour dans un discours par ailleurs largement plat.
Il sait lire - ça... ! Mais il a peu de temps pour boucler sa copie, le Président...
Martine L Petauton
29 novembre 2018
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