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Y EUT-IL UNE IDÉOLOGIE WAGNÉRIENNE ?

 

 

Catégorie : Classique

 

 

 

 

 

 

Richard Wagner à l'âge de la maturité

 

 

 

   Un premier point peu connu réside d'abord dans le fait que le jeune Wagner, jusque vers 1849-1850, était influencé par une pensée socialiste libertaire. Ainsi, comment ne pas signaler qu'il participa au mouvement révolutionnaire allemand, à Dresde, en 1848, lors du "Printemps des Peuples", et ceci jusqu'à son écrasement (en 1849) par les troupes saxonnes et prussiennes ? A cette époque, il était d'ailleurs l'ami de l'anarchiste russe Bakounine... Faut-il voir là uniquement, pour Richard, une façon de réagir au fait que son génie n'était pas encore, à cette époque, vraiment couronné de succès (malgré les compositions de ses premières grandes œuvres lyriques : "Le Vaisseau Fantôme", "Tannhaüser", et "Lohengrin"), après la réussite de "Rienzi" ? En tout cas, il dut s'exiler, d'abord à Paris, puis à Zurich, étant recherché comme "révolutionnaire" par les autorités des Etats allemands !

 

   Plus connus sont les positionnements du Wagner de la maturité, puis de la vieillesse, que ce soit l'antisémitisme ou le monarchisme nationaliste. Même si l'antisémitisme était un phénomène extrêmement répandu à cette époque (pas seulement en Allemagne), ce qui n'excuse en rien les écrits de Wagner, comment oublier son essai : "Le judaïsme dans la musique" ?! Comment ignorer, dans ce cadre, ses attaques contre Mendelssohn et Meyerbeer ?! Mais, comme Wagner est souvent insaisissable, il faut aussi dire que des musiciens juifs vivant à son époque, tels que Hermann Levi (chef d'orchestre), Joseph Rubinstein (pianiste), ou Arnold Schoenberg (compositeur admirateur de Wagner et principal fondateur de la musique atonale), ont toujours soutenu "Le Mage de Bayreuth"... Quant au monarchisme nationaliste du compositeur vieillissant, il se rattache davantage aux racines du pangermanisme qu'à son amitié avec Louis II de Bavière, ce dernier lui ayant surtout permis de pouvoir subvenir à ses besoins dispendieux et de faire construire son grand théâtre (comme une sorte de "temple") pour représenter ses opéras dans le cadre d'un festival à Bayreuth.

 

   Sur le plan "politique", celui qui se voulait "le nouvel Eschyle" (Bayreuth était l'équivalent, pour lui, du théâtre d' Epidaure) considérait son œuvre - en ce lieu - comme un ensemble de cérémonies civiques de type athénien antique, à contenu philosophique, puis quasiment religieux. D'où - sans doute - son amitié/haine avec Nietzsche, qui rejeta "Parsifal", le grand philosophe reprochant au compositeur de s'être, avec cet opéra, "agenouillé devant le crucifix", et d'avoir rompu avec leurs "fêtes dionysiaques". L'amitié admirative pour Wagner (avec "La naissance de la tragédie") se transforma alors en rejet, voire en haine (dans "Le cas Wagner") ; admiration (réciproque), puis véritable rejet... C'est essentiellement au sein de la "Tétralogie" que l'on pourrait trouver (mais pas forcément sur le plan politique) la vision d'une hiérarchie raciale (ou sociale ?), avec les Dieux, les Héros, les hommes, et les gnomes ou sortes de nains (les Nibelungen). Il ne faut pas être un grand analyste pour voir ce que les nazis purent instrumentaliser dans le contenu de ces mythes germaniques ; j'y reviendrai. Au niveau religieux, c'est bien avec "Parsifal" que Wagner voulut couronner son œuvre. L'évolution du "Maître" fut la suivante depuis les années 1840 : l'Histoire (avec "Rienzi"), les Légendes (avec "Le Vaisseau fantôme", "Lohengrin", "Tannhäuser", "Tristan et Isolde"), les Mythes (avec la "Tétralogie"), puis la Religion (avec "Parsifal"). Wagner considérait "Parsifal" (son testament musical) en tant que "Festival d'art scénique sacré". D'ailleurs, certains wagnérophiles vivent encore cette œuvre mystique comme "une messe" ! J'ajoute une précision intéressante : avant cette œuvre, Wagner avait envisagé de composer une partition lyrique à caractères bouddhistes, qui se serait appelée "Les Vainqueurs".

 

   Passons au gros morceau du "problème Wagner" : la récupération de certains de ses opéras par le nazisme ? Pour les causes, disons d'abord qu'Hitler était intoxiqué par un wagnérisme caricatural, qui lui permettait surtout d'exalter un "État-spectacle", dans le cadre par exemple de la propagande des "Cathédrales de lumière" (à Nuremberg) et le nationalisme allemand. A ce propos, il faut savoir que Beethoven et Bruckner, de même que Richard Strauss, furent également les victimes de tentatives de récupérations par le régime hitlérien, mais beaucoup moins nettement. En effet, avec Wagner, il y avait quelque chose de plus... C'est que Beethoven (en dehors de son "Fidelio", hymne à la Liberté !) et Bruckner (aucune œuvre lyrique) n'avaient pas composé d'opéras pouvant être récupérés ; il était impossible de voir Richard Strauss comme un antisémite, et ceci dans quelque partition lyrique que ce soit. Ces grands compositeurs germaniques intéressaient donc beaucoup moins la propagande hitlérienne ! J'ai signalé l'interprétation que les nazis pouvaient faire de la hiérarchie "raciale" (?) contenue, selon eux, dans "Tétralogie" ; c'était - d'évidence, pour ses initiateurs -, l'annonce esthétique des thèses nationales-socialistes sur la hiérarchie des races (les Nibelungen ou nains correspondant aux juifs ?). Même un opéra comme "Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg" fut récupéré, essentiellement en raison de la fin de l'Acte III, exaltant l'art allemand… Il faut toutefois fixer des limites à cette récupération des œuvres wagnériennes par les nazis : "Le Vaisseau fantôme", "Tristan et Isolde", "Lohengrin", et surtout "Parsifal", ne les mobilisèrent quasiment pas ; ainsi pour le personnage de Parsifal, "Le Chaste Fol" (en allemand "Der Reine Tor"), très éloigné du goût du régime hitlérien pour le  paganisme.

 

   Par opposition à cette tentative - qui vient d'être la mienne - de démonstration du fait que l'oeuvre de Wagner n'avait rien de pré-hitlérienne, il convient d'enfoncer entièrement le clou en ce qui concerne l'attitude de la famille Wagner pendant le régime nazi. Siegfried (le fils de Richard) étant décédé en 1930, c'est son épouse Winifred (d'origine britannique) qui dirigea le Festival de Bayreuth pour la période allant de cette date jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme beaucoup d'Allemands (de gré ou de force), certes, elle soutint le nazisme. Mais, était-elle vraiment obligée d'être l'amie personnelle d'Hitler et de mettre Bayreuth au service de la propagande hyper-nationaliste du "Führer" et de la propagande de Goebbels ? On possède d'ailleurs des photographies assez nombreuses montrant la famille Wagner, avec notamment Winifred, Wieland et Wolfgang (les deux fils de Siegfried), paradant avec le Hitler sur la "colline sacrée"…

 

   Pour finir, donnons quelques repères sur la dénazification du wagnérisme à partir de 1945. Il y eut la réouverture du "Nouveau Bayreuth" (ou "Neues Bayreuth") en 1951 ; ce fut l'âge d'or des mises en scène de Wieland Wagner à Bayreuth jusqu'à sa mort en 1966 ; pensons à la mezzo-soprano afro-américaine Grace Bumbry chantant et incarnant le rôle de Vénus dans "Tannhäuser" en 1961-1962 ; il y eut aussi le scandale provoqué par la "Tétralogie" des Français Pierre Boulez et Patrice Chéreau en 1976 (pour le Centenaire de la création du Festival) ; il faut signaler enfin la direction du chef d'orchestre Daniel Barenboim à Bayreuth (juif, de nationalités argentine, israélienne, espagnole, et disposant - de plus - d'un passeport palestinien !). Espérons qu'avec tout cela, une bonne partie du "problème Wagner" s'estompera encore (pour ce qu'il en reste) : Barenboim n'a-t-il pas fini par obtenir, il y a déjà pas mal d'années, de jouer Wagner à Tel Aviv - ceci, au grand dam des intégristes juifs et des nationalistes locaux… ? Mais, à l'intérieur de notre moi profond, nous, les mélomanes non musicologues, et même peut-être certains de ceux-ci, n'y aura-t-il pas toujours quelque part cette conscience d'un "problème Wagner" personnel non résolu ? Allez ! Je me lance… : ne serait-ce pas un peu comme "la recherche du père", à la fois conteur, enjôleur, et manipulateur, aimé et détesté, car inclus et exclu... ?

 

 

 

Eléments de base bibliographiques :

 

 

 

"Guide des opéras de Wagner" - Collectif, Édition Fayard, 1988, 900 pages

"Le judaïsme dans la musique" - Richard Wagner, Hachette Livre BNF, 2013, 36 pages

"La Naissance de la tragédie" - Friedrich Nietzsche, Édition Gallimard, 1989, 374 pages

"Le cas Wagner" - Friedrich Nietzsche, Folio, 1991, 163 pages

 

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

 

 

23 novembre 2018

 



23/11/2018
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