A PROPOS DU PREMIER MAI
Catégorie : Histoire
Lorsqu’on pense "1er mai" aujourd’hui encore, cela évoque bien sûr pour nous au moins deux choses. Nous avons d'abord en tête les débuts potentiels de l’affirmation plus ou moins nette du printemps, avec ses marchands de muguet, souvent à la sauvette. Ajoutons à ce niveau que le 1er mai était célébré depuis fort longtemps par les coutumes de l’arbre de mai (un rite de fécondité lié au retour de la frondaison et jadis répandu dans toute l’Europe occidentale). Et nous pensons tout de suite à la "Fête du Travail", débouchant à la fois vers un jour de congé (et même souvent la possibilité de "faire le pont" grâce à l’arrivée d’un week-end ou à la prise d’un ou plusieurs jours de RTT) et le maintien d’une "tradition", avec les défilés des syndicats. Et puis, il y a aussi le 1er mai de l'ancien Front National, devenu Rassemblement National, qui célèbre, lui aussi, depuis les années 1980, son "1er mai", celui de "Jeanne d’Arc", comme "protectrice" de la "patrie", et - en fait - en tant qu’affirmation du patriotisme, débouchant sur le nationalisme. Mais, par rapport à tout ce que je viens d’écrire, quel serait le % de jeunes (notamment) dont nous pourrions être certains qu'ils connaîtraient vraiment les origines du 1er mai, en rapport avec ce que fut l’histoire du mouvement ouvrier français et surtout sur le plan international... ?
En effet, c’est aux États-Unis qu’apparut pour la première fois l’idée d’une journée de lutte des ouvriers, et ceci n’avait absolument rien d’une fête chômée. Il s’agissait prioritairement d’une exigence de la réduction du temps de travail par jour. A la fin du XIXe siècle, les syndicats américains, dans le cadre de leur congrès de l’année 1884, se donnèrent pour objectif d’imposer au patronat une journée de travail limitée à huit heures. Et ils choisirent justement de lancer leur lutte pour cette revendication un 1er mai… En effet, la première grande action de ce type eut lieu le 1er mai 1886, sous l’influence des courants syndicalistes anarchistes des Etats-Unis ; et elle fut d’ailleurs assez largement suivie. Des morts tombèrent le 4 mai parmi les travailleurs, à Chicago, une marche de protestation ayant eu lieu à Haymarket Square, suivie de graves troubles entre manifestants et forces de l’ordre, aboutissant à un véritable massacre. Puis, cinq syndicalistes anarchistes furent condamnés à mort et trois à l’emprisonnement à perpétuité...
En France, trois hommes furent à l’origine du 1er mai conçu comme journée de lutte, en hommage aux terribles événements de Haymarket Square. Il faut d’abord insister sur le rôle de Jean Dormoy, socialiste et syndicaliste (qui devint maire de la ville de Montluçon dans l’Allier, l’une des premières municipalités socialistes de l’Histoire). Jean Dormoy, ami de Paul Lafargue (gendre de Karl Marx) et de Jules Guesde, fut d’ailleurs surnommé "Le forgeron du premier mai". C’est en effet durant l’année 1888 qu’il lança - au niveau syndical - le projet d’organiser une grande manifestation populaire des travailleurs sur le plan international. Il y eut aussi l’action de Raymond Lavigne, un autre militant socialiste et syndicaliste, d’origine bordelaise, également ami de Jules Guesde, qui proposa à la IIe Internationale socialiste, en 1889 (dans le contexte du Centenaire de la Révolution française et de l’Exposition universelle), de faire désormais de chaque 1er mai une grande journée de manifestation destinée à obtenir les 48 heures hebdomadaires de travail, le dimanche étant alors le seul jour chômé... Il y eut enfin le rôle d’impulsion que joua le leader du POF (Parti Ouvrier Français), Jules Guesde (déjà cité), marxiste orthodoxe, qui poussa la IIe Internationale à entériner cette proposition, le 20 juillet 1889 ; c’est par ailleurs Guesde qui, le premier, inventa le terme de "fêtes du travail", en 1890...
Le 1er mai 1890 fut ainsi célébré pour la première fois internationalement, mais avec des niveaux de participation très divers. Comment ne pas signaler au passage les terribles événements qui se déroulèrent le 1er mai 1891 lorsqu’à Fourmies (commune du département du Nord) la manifestation ouvrière aboutit à un drame, avec une fusillade, la troupe ayant tiré sur la foule, ce qui occasionna la mort de dix personnes... A partir de cette journée d’action de lutte sociale, voyons rapidement, pour la France, quelle fut l’histoire de ce 1er mai, jusqu’à ce qu’il devienne ce que nous connaissons de nos jours. Elle dépendit de l’évolution du syndicalisme, qui prit son essor entre la fin du XIXe siècle et les débuts du XXe. La revendication concentrée sur "Les Trois 8" (8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil) eut une ampleur de plus en plus grande avant la Guerre de 14, notamment au moment des grandes grèves des premières années du XXe siècle. Ce fut sous la pression syndicale que l'on assista à la ratification officielle de la journée de 8 heures de travail en 1919 (donc sous la IIIe République), le 1er mai de l’année en question devenant alors une journée chômée...
Une instrumentalisation politique se produisit à l’époque du régime de Vichy, dans la mesure où ce fut en avril 1941 - par la loi Belin (un ancien syndicaliste) - que le maréchal Pétain instaura le 1er mai comme étant "la fête du travail et de la concorde sociale" au lieu de "la fête des travailleurs", étant donné que cette dernière expression évoquait trop, à ses yeux, la "lutte des classes". Le 1er mai devint alors à la fois férié, chômé, et payé. Au niveau des symboles, l’églantine rouge, associée à une image de gauche, fut remplacée par le muguet... Le maréchal Pétain profita de ce que le 1er mai coïncidait avec la saint Philippe (son propre prénom) pour en faire une sorte de fête nationale... A la Libération, pendant la période du "tripartisme" (1), ce dernier aspect fut bien sûr supprimé. En 1947, on en revint au jour chômé et payé (avec inscription dans le code du travail), et ce n’est qu’en avril 1948 que la IVe République officialisa la désormais célèbre dénomination de "Fête du travail". Depuis lors, et comme après la création de la CGT (2) (à l’époque unifiée) en 1895 - sauf pendant la période du régime de Vichy -, le 1er mai fut l’occasion de manifestations syndicales plus ou moins fournies, parfois unitaires, mais aussi assez souvent en ordre dispersé, étant donné le pluralisme extrême et, somme toute, la faiblesse du syndicalisme français en % d’adhérents...
(1)- Le "tripartisme" fut une coalition politique qui exista pendant les premières années de la IVe République, et qui regroupait le PS SFIO (socialistes), le PCF (communistes), et le MRP, ou Mouvement Républicain Populaire (catholiques de gauche et démocrates-chrétiens)
(2)- La CGT (ou Confédération Générale du Travail) avait été créée en 1895. Elle resta unifiée, puis se divisa plusieurs fois entre des syndicats aux noms différents, la CGT maintenu ayant toujours gardé une sympathie plus ou moins marquée envers le PCF
Eléments bibliographiques :
"Histoire du Premier Mai" - Maurice Dommanget, Éditions Le Mot et le reste, réédition 2006, 520 pages
"Le 1er mai" - Miguel Rodriguez, Éditions Folio, réédition revue et augmentée 2013, 368 pages
Jean-Luc Lamouché
Avec l'autorisation de Reflets du Temps
1er mai 2019
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