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LES CONCEPTIONS DE LA DÉMOCRATIE - 2

 

 

Catégorie : Histoire et Actualité

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie et nuage de mots

 

 

 

   Dans la première partie de mon article, je vous rappelle que je m'étais arrêté au lendemain de la Révolution française, soit en 1799 (avec la fin du Directoire). Pour cette seconde partie, et en prenant toujours quelques exemples, je vais tenter de voir, en votre compagnie, quelles furent les évolutions des conceptions de la démocratie. Ne pouvant pas prendre tous les cas, seuls les exemples suivants seront évoqués : la Grande-Bretagne depuis la fin du XVIIIe siècle, de même pour les Etats-Unis d'Amérique, plus celui de la Russie devenue URSS puis post-soviétique, sans oublier de faire une place aux expériences de sociales-démocraties avant tout au sein des pays de l'Europe du nord, voire en Allemagne, et - bien sûr - en France jusqu'à une période assez récente. Comme annoncé dans le cadre de la première partie de mon texte, il me faudra montrer, en conclusion, quels peuvent être les avantages et les inconvénients respectifs de la "démocratie représentative", de la "démocratie directe", et de la "démocratie participative". Il est évident que cette conclusion, très actuelle, me semble devoir être la plus adaptée pour un débat, notamment dans le cadre des commentaires qui viendraient habiter directement ou indirectement le blog...

 

   La Grande-Bretagne, au cours des XIXe-XXe siècles, connut un processus d'évolution - donc sans ruptures de type révolutionnaires (contrairement à la France) qui aboutit à la mise en place d'une monarchie constitutionnelle parlementaire, de type démocratique, car il ne faut pas confondre la forme de l'Etat (ici monarchique) et le fond de sa nature (dans ce cas démocratique). Le si long règne de Victoria (d'une durée de près de 64 ans, entre 1937 et 1901) sur l'ensemble du Royaume Uni doit être considéré comme ayant été le dernier pendant lequel le personnage royal gouverna en partie l'ensemble des nations britanniques. Par la suite, les monarques de ces pays régnèrent de plus en plus sans gouverner, puisque le pouvoir politique passa entre les mains d'un Premier Ministre travaillant au "10 Downing Street", dans la cité de Westminster, au cœur de la capitale londonienne. Quelle démocratie ? Evidemment, un système de plus en plus libéral politiquement, mais très peu égalitaire socialement, et qui correspondit à un système représentatif dans lequel les partis politiques (d'abord les Tories et les Whigs, puis les Conservateurs et les Travaillistes du Labour Party) exercèrent progressivement, et alternativement, le pouvoir. Ce système de bipartisme, donnant un rôle très important au parlement (Chambre des Lords et Chambre des Communes), fonctionna très bien jusqu'à ce que de nouveaux partis politiques apparaissent : d'abord le PLD (Parti des Libéraux Démocrates), en 1988, puis, avant tout récemment les forces populistes nationalistes ultra- Brexiters de Boris Johnson et de Nigel Farrage. C'est depuis lancement de l'idée du Brexit que le système politique britannique ne fonctionne plus correctement...

 

   Les Etats-Unis d'Amérique connurent une évolution un peu comparable à celle du Royaume Uni, sauf sur un point : celui de la forme de l'Etat. En effet, s'étant libérés - par une guerre anti-coloniale - de l'impérialisme britannique, le jeune régime américain fut amené tout naturellement à choisir un système républicain, et ceci dès la Constitution de 1787, qui fixa les bases de la démocratie représentative étasunienne, avec, par étapes, des ajouts d'amendements numérotés, comme le célèbre "second amendement" concernant la "liberté d'expression". Cela dit, et comme en Grande-Bretagne, il y eut la mise en place d'un Etat avec un parlement à deux chambres (le Sénat et la Chambre des Représentants, constituant le Congrès), mais dans le cadre d'une fédération d'Etats, dont le nombre augmenta progressivement. Aujourd'hui, il atteint le chiffre de 50 Etats fédérés (plus la candidature de Porto Rico et le statut du district de Columbia), avec "la conquête de l'Ouest" qui se fit au détriment des tribus indiennes (d'où un véritable génocide, même si des "réserves" furent créées). Comme la Grande-Bretagne - encore -, les Etats-Unis fonctionnèrent, et fonctionnent toujours, sur la base du bipartisme et avec une très fréquente alternance : le Parti Démocrate et le Parti Républicain. Le problème, c'est que ce dernier parti a été envahi par le populisme nationaliste du trumpisme depuis l'élection de Donald Trump en 2016 (une élection due seulement aux "grands électeurs", et non au suffrage universel de la fédération, puisqu'Hillary Clinton avait obtenu plus de 53% des voix sur ce plan). Faisons très attention lorsqu'on parle aujourd'hui des Etats-Unis, car, sur le plan politique, et contrairement à la Russie de Vladimir Poutine, il ne s'agit pas d'une "démocrature" (un système intermédiaire entre une démocratie et une dictature), mais d'une sorte d'occupation de la présidence des Etats-Unis par un populiste qui pourrait tout à fait être battu lors des prochaines élections présidentielles de 2020...

 

   Et pour ce qui concerne la Russie, puis l'Empire soviétique ? A l'époque tsariste, et malgré les réformes de type occidentales (premières tentatives de démocratisation qui furent étouffées dans l'oeuf, en raison de l'assassinat du tsar réformateur Alexandre II par des nihilistes ou anarchistes en juillet 1881). Malgré ces réformes, qui avaient été initialisées par "le tsar libérateur" Alexandre (réforme agraire et abolition du servage en 1861, mais sur les seuls domaines impériaux), ce pays-continent ne connut pas une démocratie représentative, mais un régime d'autocratie, c'est-à-dire autoritaire et lié à l'orthodoxie sur le plan politico-religieux. Il y eut pourtant une assemblée, la "Douma", dont la première fut octroyée par Nicolas II en 1906, à la suite de la révolution manquée de 1905. Je précise que cette assemblée n'était que consultative et que l'organisation des partis politiques n'y était pas comparable à ce qui se passait dans le cadre des démocraties occidentales. Toutefois, une révolution éclata et réussit à renverser le régime tsariste à la faveur de la Guerre de 14, le peuple des hommes russes étant en armes : c'était en février 1917. Pendant la période allant de février à octobre 1917, la Russie connut - surtout dans les grandes villes telles que celles de Saint-Pétersbourg et Moscou - à la fois des expériences de démocratie représentative et de démocratie directe, avec une Douma et un gouvernement excluant le tsar et des conseils d'ouvriers et de soldats (les célèbres "soviets" en russe). Or, progressivement, tout se passa comme si ces deux conceptions de la démocratie s'excluaient l'une l'autre, puisqu'en octobre 1917, avec le slogan "Tout le pouvoir aux soviets", Lénine et les bolchéviks (plus leurs alliés provisoires, anarchistes et SR de Gauche, ou socialistes Révolutionnaires de Gauche) s'emparèrent du pouvoir par une sorte de coup d'Etat, le pouvoir étant très facile à prendre étant donné la situation extrêmement désorganisée du pays. Et voilà donc la grande question originelle posée à propos de la future URSS ou Union Soviétique (créée en 1922). Ce terme "soviet" fut-il une réelle tentative de création d'une démocratie directe ou un prête-nom qui ne servit qu'à éliminer par étapes tous les autres partis politiques, y compris des révolutionnaires (les anarchistes) ou des socialistes plus modérés voulant agir en tenant compte de l'état très en retard (notamment sur le plan économique) de la Russie (comme les menchéviks) ? Tout ceci avait en tout état de cause abouti à un gouvernement très autoritaire sous Lénine (qui n'avait pas précisé que ce qu'il voulait dire, c'était "Tout le pouvoir aux soviets", mais à condition qu'ils soient tenus par les seuls bolchéviks). Par la suite, cet autoritarisme particulièrement marqué devint totalitarisme avec Staline, soit une dictature pure et simple. Quant au post-soviétisme poutinien, il s'agit avant tout d'une "démocrature" dont les caractères sont liés au nationalisme et à l'orthodoxie, les deux fondements qui avaient été essentiels à l'époque tsariste ; mais avec bien sûr de l'ancien KGB à l'intérieur...

 

   J'en arrive aux cas des sociales-démocraties des pays de l'Europe du nord (en Scandinavie) et allemand, en rapport également avec le travaillisme britannique et certains moments de l'histoire de la France. La sociale-démocratie, ou socialisme démocratique, développa son action gouvernementale aux lendemains de la Guerre, soit à partir de 1945-1950. Elle agit à la fois dans le cadre de la démocratie représentative classique (avec l'élection de parlementaires), mais aussi - d'une certaine façon - au cœur d'une forme de démocratie sociale directe : celle d'un dialogue social quasi-systématique (en tout cas en Scandinavie) entre les partenaires sociaux (patronat et syndicats, très représentatifs) ; ce qui, il faut le dire au passage, n'est pas dans la culture française, qui se place (encore de nos jours) dans le conflit, la notion de compromis étant globalement prise pour de la compromission (et le plus souvent des deux côtés : patronal et de la part d'une partie du monde syndical - qui y voit de la "collaboration de classe"). Fait étonnant (?), c'est un libéral anglais qui fut à l'origine de l'instrument le plus important mis en place par la sociale-démocratie : William Henry Beveridge, qui écrivit un rapport parlementaire britannique (portant historiquement son nom) en novembre 1942 aboutissant à la mise en place du "Welfare State" (ou "Etat providence") en Europe occidentale et nordique. C'est là que se situèrent désormais, jusqu'aux crises depuis 1973, le développement des droits sociaux et de la protection sociale, après la Libération, avec comme complément le keynésianisme, autre économiste libéral... J'ajoute au passage que le "Welfare State" et le keynésianisme avaient également inspiré la politique du "New Deal" du président Roosevelt (qui n'était pas socialiste mais membre du parti Démocrate) aux Etats-Unis. Certains peuvent reprocher aux socialistes et aux sociaux-démocrates de ne pas avoir fait la "révolution", mais qu'est exactement celle-ci ? Et de plus, les libertés appelées "formelles" (se réunir, créer des partis et des associations, manifester, disposer du pluralisme et de la liberté de la presse, etc.) par les marxistes-léninistes furent maintenues. Aujourd'hui, le socialisme démocratique est balayé par les populismes nationalistes au niveau de l'Union Européenne, mais parce qu'il n'y a plus "de grain à moudre" au niveau de la croissance de l'économie et surtout que de plus en plus d'Européens, et même d'Occidentaux, se posent des questions identitaires par rapport à l'immigration et à la globalisation...

 

   Cela nous amène à l'actualité récente avec ce qui se passe en France depuis la "crise des Gilets jaunes". Il faut d'abord distinguer les manifestations d'origine des Gilets jaunes, qui regroupèrent plus de 300.000 manifestants (ayant le "soutien", ou la "sympathie", de plus des 2/3 des français - selon les sondages) sur l'ensemble du territoire français vers la fin de l'année 2018 (novembre-décembre), en portant des revendications de ce qu'un géographe français avait appelé "La France périphérique" (je vais y revenir ci-dessous). Le contenu de certaines de ces revendications d'origine pouvait tout à fait se comprendre (même si les premiers signes de violence étaient apparus dès le début de la mouvance "jaune"), dans la mesure où elles étaient très différentes de celles de ces derniers mois unissant des forces idéologiquement ultra-radicalisées (dans la violence et leurs objectifs). Ensuite, il convient de poser, en rapport avec le "jaunisme", la question de la démocratie. Les Gilets jaunes, cela est un fait, n'acceptent pas la démocratie représentative, tout simplement parce qu'ils ne se sentent plus "représentés". Pourquoi cela ? Le géographe français Christophe Guilly avait écrit un livre assez éclairant, "La France périphérique" (paru en 2014), qui montrait en quoi la "métropolisation" avait contribué à isoler, voire sacrifier, une partie des catégories sociales populaires (dans les zones éloignées des centres-villes), et, de loin en loin, au sein du monde de la ruralité - d'ailleurs atteints de plus en plus par un vote protestataire Front National, puis Rassemblement National... Cette vision prophétique de la fracture la plus fondamentale de la société française actuelle (même si l'on trouve aussi ce phénomène dans d'autres pays européens, et même occidentaux) aurait dû être écoutée. Enfin, et cela dit, il est par exemple très contradictoire - par exemple - de demander à la fois des services publics proches et de meilleure qualité, une augmentation du pouvoir d'achat, et une baisse des impôts... Pour en revenir à la démocratie, quel est enfin le rapport des Gilets jaunes avec la démocratie directe, ce qui me permettra d'en arriver dans le dernier paragraphe (à venir un peu plus loin) à la conclusion de cet article... ?

 

   On a vu effectivement fleurir depuis des mois sur les murs des grandes villes de France l'expression de "démocratie directe" (et elle apparaît toujours) en rapport avec la mouvance des Gilets jaunes. Celle-ci était le plus souvent liée à des sous-bassements idéologiques complètement contradictoires allant de certains Gilets jaunes eux-mêmes, et de plus en plus de la part de ceux que l'on appelle les "ultras-jaunes", qui se sont rapprochés, d'abord dans les méthodes de fuite ou de protection - puis d'attaque - par rapport aux forces de l'ordre, des blacks blocs, anarchistes extrêmement violents et pré-existants depuis longtemps, et jusqu'à des forces politiques organisées telles que des militants de LFI (La France Insoumise) de Jean-Luc Mélenchon ou du RN (Rassemblement National) de Marine Le Pen. Cette expression s'est essentiellement concrétisée dans le cadre du RIC (ou Référendum d'Initiative Citoyenne), incluant par exemple des remises en cause de lois votées par les représentants du peuple (les députés et, indirectement, les sénateurs), et même d'autres types d'élus... Or, la démocratie directe, dans l'histoire du XXe siècle, et si l'on prend l'exemple de la Russie, commença certes, en février 1917, par un mode de fonctionnement démocratique incontestable (aux aspects autogestionnaires), car pluraliste. Mais, elle s'était terminée, après les mois qui suivirent octobre 1917 et le cours de l'année 1918 (et au-delà), d'abord par l'élimination de ce pluralisme des forces politiques, les bolchéviks liquidant physiquement, sous Lénine, toutes les autres composantes faisant partie des soviets d'origine, puis, après la phase léniniste, se terminant par la dictature d'un homme, Staline ; le stalinisme qui, tout en gardant le terme de "soviétique", imposa une dictature totalitaire au sein de laquelle tous les bolchéviks qui n'étaient pas d'accord avec sa "ligne" politique étaient éliminés physiquement dans les camps de concentration, à l'époque du "goulag"...

 

   Mais alors, que faire pour refonder la démocratie ? Et d'abord quels sont les avantages des trois systèmes déjà cités plusieurs fois. La démocratie représentative est incontestablement à bout de souffle, et, par l'intermédiaire des réseaux sociaux sur Internet, la majorité des gens - au sein des démocraties - ont pris l'habitude de dire leur mot, avant tout par un "J'aime", ou un "Je déteste", avec d'abord des produits liés aux publicités ; fait extrêmement réducteur... Nous en sommes là sur le plan politique : le choix binaire, donc moins que simpliste. Cette évolution vers une "démocratie 2.0" me semble irréversible, mais elle pourrait s'améliorer en se complexifiant. Aujourd'hui, la "démocratie directe" en est à un point quasi-enfantin et potentiellement dangereux pour les libertés car une partie des mêmes personnes exigeant cette "démocratie directe" pourraient tout à fait remettre le pouvoir, comme cela s'est déjà vu dans l'Histoire - dans un contexte certes moins technologique que de nos jours - entre les mains d'un "homme à poigne" ; donc dans le cadre d'une sorte de phénomène mêlant populisme, nationalisme, et néo-bonapartisme autoritaire... ? Reste la troisième possibilité, encore peu utilisée (en dehors des expériences tentées par Ségolène Royal (en 2007), ou Barack Obama (entre 2008 et 2016) : celle de la "démocratie participative", en rapport avec la consultation effective de certains groupes de citoyens, par différents moyens, dont par exemple un réel RIP (Référendum d'Initiative Partagé, qui avait été introduit en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais uniquement au niveau théorique). Remarquons qu'Emmanuel Macron, à la suite du "Grand débat", envisagerait notamment de réformer en profondeur ce RIP... De toute façon, à mon avis de citoyen, deux faits sont incontournables. En premier lieu, on ne peut plus en rester à des consultations électorales une fois tous les cinq ans (pour le chef de l'Etat et les députés) et avec des périodes même un peu plus longues en ce qui concerne les sénateurs et les élus des collectivités territoriales. En second lieu, une démocratie directe sans limite ne pourrait correspondre qu'à une fuite en avant incontrôlable par qui que ce soit. En fait, on peut tout simplement se demander si la moins mauvaise solution ne consisterait pas à croiser "démocratie représentative" (qu'il ne faut pas jeter à la poubelle de l'Histoire, car ce serait très grave) refondée par des réformes constitutionnelles et "démocratie directe", par l'intermédiaire d'une "démocratie participative" consistante (cela dit, avec avec quelles modalités ? et pas faciles à mettre en place et légitimer), afin d'aboutir à la création d'une nouvelle citoyenneté... ?

 

 

Eléments bibliographiques :

 

"Des soviets au communisme bureaucratique, Les mécanismes d'une subversion" - Gallimard, réédition 2017, 352 pages

 

"La démocratie représentative est-elle en crise" - Luc Rouban, La Documentation Française, 2018, 195 pages

 

"Le nouvel esprit de la démocratie, Actualité de la démocratie participative" - Loïc Blondiaux, Le Seuil, 2008, 112 pages

 

"Inventer la démocratie du XXIe siècle" - Un collectif d'auteurs présenté par Dominique Bourg, Les liens qui libèrent l'édition, 2017, 80 pages

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

17 mai 2019

 



18/05/2019
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