MONTPELLIER : LE TEMPS DES DRAPS ET DES ÉPICES
Catégorie : Histoire
L'office de tourisme de Montpellier a inclus, dans son programme de visites de l'hiver, une balade en haut du lacis des ruelles de la ville ancienne, où les plaques sonnent Moyen Age : rue de la draperie rouge, rue vieille, rue de l'argenterie... C'est là qu'au XIIIème siècle - alors que la prospère Montpellier dépendait d'Aragon - se tenait la ville marchande, autour de Notre Dame des tables (donc des bans des changeurs). Chaque venelle abritait artisans, banques, à deux pas des Juifs, fort nombreux, et de leur synagogue. En ce temps, Montpellier était une dynamique place de draperie - teinte du rouge de la cochenille des chênes Kermès de la garrigue, et pas moins un important nœud de communications avec l'Orient et le Levant, via des bateaux emportant la draperie, et revenant au port de Lattes, croulant sous les précieuses épices. Lorsque s'ensabla ce qui était depuis l'Antiquité un grand port, devenu, aux temps médiévaux, le port de Montpellier, les bateaux allèrent à Aigues-Mortes la voisine, reliée à Lattes par un canal soigneusement entretenu pour d'incessants transferts de barques à fond plat. On imagine peu l'importante activité commerçante et péri-maritime dans ces marais camarguais. Un des seuls handicaps valant frein fut en effet, au fur et à mesure qu'avançait le Moyen Age, le fait que Montpellier n'était pas un "vrai port" sur la Méditerranée, tout près, mais pas au bord, et menacé par les marais fluctuants du littoral et des étangs. On ne peut qu'admirer, du coup, l'intelligence des techniciens des voies d'eau, comme des bateaux, et le constant volontarisme des marchands, qui ont réussi à hisser la ville au premier rang du Languedoc, à en faire une place de première importance dans la géographie commerciale de l'Occident médiéval, en l'ancrant dans un rôle majeur pour le grand commerce du bassin méditerranéen, aux côtés de Gênes, et même de Venise.
Dans les familles enrichies par le négoce, mais aussi la banque et ses changeurs, celle des Carcassonne (leur blason porte cloche) bâtit l'oustal (l'hôtel) que la visite de l'office de tourisme permit de découvrir durant le mois de janvier. Nommé Hôtel de Gayon depuis le XVIIe siècle (très bel escalier, et plafonds, du reste), il abrite les services de Habitat jeunes Montpellier. C'est aux grands logis seigneuriaux d'Italie - San Geminiano ou Florence -, et à la richesse assise de leurs grands marchands, que l'on pense, devant des murs un peu austères qu'animent des fenêtres parfois en arc brisé, coiffés de la grande tour dominante (22 m de haut). Un dessin reconstitué, et un plan tiré des recherches archéologiques, montrant l'agencement et la vastitude d'un tel logis, permettent de s'immerger dès l'entrée dans le bâtiment de ce temps retrouvé. Autant d'espaces dévolus à l'entrepôt et à la gestion des marchandises, que de pièces d'apparat destinées au privé de ce Jaume (quel beau prénom !) Carcassonne et son frère Guillaume. Une chambre - salle de réunion familiale, de fait - est l'objet principal de la visite. A l'origine, le plancher se situait deux étages plus bas, et nous avons du coup le privilège d'avoir le nez sur la frise colorée entourant la pièce, qu'aux époques médiévales on ne voyait que de très loin. Tons chauds entre orange, jaune et rouge cochenille. La découverte - fortuite, au cours d'une démolition - date de 1999, mais l'ouverture au public d'octobre 2018 seulement. C'est d'une légende dont il s'agit, la vie de Saint-Eustache à la fin du monde romain, au moment des grandes conversions ; saint qui passa au Moyen-Age pour le protecteur des drapiers. Facture à la fois fine, précise et un brin naïve, dont on ignore le (plutôt les) artiste(s), peut-être venu(s) d'outre Pyrénées. Il y a dans cette narration peinte - que de formidables miracles ! - comme de la tapisserie de Bayeux... Ceux qui ne pourraient pas mettre les pieds "chez les Carcassonne", avec l'émotion qu'on devine, peuvent se procurer le livre savant et illustré de Laurent Deguara, et de la société archéologique de Montpellier : "Montpellier au temps de Jacques d'Aragon". La "grand maison de Jaume" Carcassonne y est dessinée, présentée, agrémentée des dessins du plafond et de la frise de la chambre visitée. On peut aussi se reporter au livre (études du patrimoine) de Bernard Sournia et Jean Louis Vayssettes : "Montpellier, la demeure médiévale", où il est bien-sûr question de cette trouvaille d'exception.
Montpellier médiévale : carrefour de premier plan entre des mondes différents ; l'Islam, l'Italie, l'Orient ; un lieu de mélanges et d'échanges, ce qu'on apprécie encore aujourd'hui tellement dans cette ville. Des liens - commerce et cultures, sans oublier savoirs (la médecine et les sciences) depuis ce temps lointain, comme une ligne rouge qui nous aurait suivis. Le plus précieux des nœuds, une identité à préserver, comme le premier de nos héritages.
Martine L Petauton
21 Janvier 2019
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