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POINT DE RUPTURE DE CIVILISATION ?

 

 

Catégorie : Histoire et Actualité 

 

 

 

 

 

 

 

La démocratie est-elle condamnée à disparaître ?

 

 

 

   Lorsqu'on observe ce qui se passe sur le plan politique dans le monde (surtout occidental) depuis quelques années, il semble évident que nous sommes à un point de rupture civilisationnel. La démocratie représentative recule partout, tandis que l'aspiration à la démocratie participative n'est pas facile à vraiment mettre en place (se heurtant au problème de la légitimité). La démocratie tout court, en tant que telle, est elle-même de plus en plus menacée, voire déjà remplacée, par des systèmes autoritaires du genre "démocratures". Ce terme est un mot-valise du type oxymore composé par le sociologue français Gérard Mermet à partir de démocratie et de dictature dans son ouvrage homonyme : "Démocrature : comment les médias transforment la démocratie", paru en 1987. De véritables dictatures se mettent également en place. On en est arrivé, en une génération, au point de se demander si nous n'entrons pas dans un domaine civilisationnel autre (que je qualifierai plus loin) ; un fait fort inquiétant en soi, mais surtout pour ceux qui ont encore en mémoire le fait que nombre de leurs parents (en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et dans les anciennes colonies) se sont battus contre le fascisme italien et surtout le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale ; j'ai écrit "en mémoire", car en cette fin d'année 2018, ceux qui ont combattu directement les totalitarismes des puissances de "L'Axe" sont presque tous morts, ou le seront bientôt... Quelles impressions terribles pour eux ! Quelles impressions terribles également pour ceux qui sont les dépositaires naturels de la Mémoire, tels que les historiens ou les sociologues !

 

   En 1945, les démocraties occidentales étaient fortes, solides, car sorties victorieuses du totalitarisme fasciste (au sens général du terme), même s'il fallut faire face ensuite, pendant la Guerre froide, au "socialisme existant", selon l'expression employée alors par certains, c'est-à-dire au communisme stalinien puis néo-stalinien. Malgré la division Est-Ouest pendant des décennies (l'URSS ne s'effondra qu'au début des années 1990), l'Europe occidentale connut en conséquence une grande période de prospérité économique, de même que les Etats-Unis, etc, que l'on appela "Les 30 Glorieuses" - car s'étant étendue en gros de 1945 à 1975. "L'Etat Providence" (ou "Welfare State" en pays anglo-saxons), structure de base de la démocratie européenne, se mit alors en place, aussi bien dans les pays sociaux-démocrates scandinaves ou en Allemagne qu'en France à partir de la IVe République, et même à certains moments aux Etats-Unis. C'était l'époque de la croissance économique que l'on pensait sans fin, avec des % annuels situés au moins entre trois et cinq points par an... Toute une série de mesures augmentant les droits sociaux collectifs pouvaient alors être prises, la croissance permettant de répartir assez équitablement les richesses. De plus, les droits syndicaux progressaient, ce qui permit alors l'ouverture systématique de négociations entre les partenaires sociaux (syndicats et patronat). La société de consommation prit son essor à partir des années 1950-1960, se transformant en consumérisme effréné (pas pour tous, certes, car il y eut aussi des "oubliés de la croissance"), avec une sorte de "toujours plus !" pour un bon nombre d'Occidentaux, qui finit par déstabiliser le modèle de nature essentiellement sociale-démocrate qui vivait en fait très largement à crédit, avec des dettes souveraines qui devinrent très inquiétantes pour l'avenir...

 

   Ce modèle de type globalement social-démocrate, qui satisfaisait la grande majorité des gens en Occident, fut d'abord secoué par les différentes phases de la crise économique (1973, 1979 : les deux chocs pétroliers, puis avec l'accentuation de la crise en 2008). Dans la foulée, il reçut de plein fouet la vague ultra-libérale de la "révolution conservatrice" thatchérienne et reaganienne (Grande-Bretagne Etats-Unis), à partir des années 1979-1980. C'est à ce moment-là que les phénomènes de rupture démocratique commencèrent à se produire dans une bonne partie du monde occidental. En effet, le "gâteau" de la croissance s'étiolant, les égoïsmes individualistes se déchaînèrent, et de plus en plus (entre 1980 et les années 2000), aboutissant même à un hyper-individualisme. Je vais citer quelques exemples de ce phénomène qui remit en cause non seulement le modèle social-démocrate (qui ne peut pas fonctionner sans croissance convenable), mais la démocratie. Faisons le bilan actuel de la naissance des "démocratures" : Hongrie (Viktor Orban), Autriche (Sebastian Kurz), Pologne (Jaroslaw Kaczynski), récemment Italie (Matteo Salvini et la coalition des partis populistes d'extrême droite et d'extrême gauche de la Ligue du Nord et du Mouvement Cinq Etoiles), Venezuela et d'autres pays d'Amérique latine (chavisme), Etats-Unis (populisme trumpien), Brésil (Bolsonaro et son populisme d'extrême droite - actuellement le plus dangereux de tous), etc. Toutes ces contre-révolutions, amorces de néo-fascismes pour la fin de la seconde décennie du XXIe siècle, peuvent nous amener à penser que nous sommes entrés dans un monde de type "post-démocratique", une porte d'entrée vers le pire ? J'ajoute que le principal moteur de ces divers populismes est le nationalisme, qui pourrait - à terme - entraîner de terribles conflits, avant tout entre pays européens, car le principal point commun entre tous les partis populistes de notre continent (et d'ailleurs) c'est à la fois leur rejet de ce qu'ils appellent "le système" et de l'Union Européenne. Si un jour des "dominos" supplémentaires sombraient dans le camp populiste (avec la bénédiction de son "pape", le nouveau "tsar" Vladimir Poutine), il y aurait fort à craindre que de graves conflits territoriaux se réveilleraient entre des pays membres des actuels 27...

 

   En dehors de la crise, on peut se demander si les principales causes de cet essor des "démocratures" et la mise en cause des démocraties classiques ne proviennent pas de phénomènes plus profonds encore. En premier lieu, la quasi-disparition des aspirations collectives au profit de l'hyper-individualisme. En effet, c'est vers la fin des années 1970-début198 0 que les sociologues anglo-saxons analysèrent l'apparition de ce qu'ils appelèrent la "me generation" (ou "génération du moi"). On perçoit très bien cela en France aujourd'hui à travers la juxtaposition des revendications du "je" (complètement contradictoires pour la plupart d'entre elles - en dehors de celles d'origine sur les taxes liées au carburant, etc.) par la grande majorité des Gilets Jaunes. En second lieu, les "effets de loupe" des médias, qui sont devenus des caisses de résonnance des peurs individuelles et collectives réelles ou fantasmées, ceci pour des raisons essentiellement commerciales liées à l'audimat. Et il y a cette course entre les médias traditionnels et les nouvelles technologies (avec les réseaux sociaux, qui font un mal terrible, même si c'est aussi un moyen d'expression potentiellement démocratique). En troisième lieu, et c'est le plus inquiétant, nous serions entrés en plein dans le début de la fin du schéma évolutif qui fut celui de toutes les grandes civilisations depuis l'Antiquité, et que démontra il y a déjà longtemps Arnold Toynbee. Né le 14 avril 1889 et mort le 22 octobre 1975,  Toynbee fut un important historien (et aussi un sociologue) britannique. Son analyse (en douze gros volumes) de l'essor et de la chute des civilisations, intitulée "Étude de l'Histoire" (ou "A Study of History"), qui parut entre 1934 et 1961, correspond à une synthèse de l'histoire mondiale ; certains ont même parlé d'une "métahistoire" fondée sur les rythmes universels, avec la croissance, l'épanouissement, et le déclin, des civilisations. Aurions-nous commencé la troisième phase... ? Il faut ajouter qu'Arnold Toynbee associait des valeurs viriles (conceptions guerrières) aux phases de croissance des civilisations, des thèmes féminins (essor de la culture et des arts, désir de paix) aux phases d'épanouissement, et substitution d'une civilisation à une autre (à nouveau sur des bases guerrières) aux phases de déclin. J'ai lu récemment des articles montrant que la NASA venait de reprendre, en les prolongeant, et avec inquiétude, les thèses d'Arnold Toynbee...

 

 

 

 

Eléments de base bibliographiques :

 

 

 

"Démocrature : comment les médias transforment la démocratie" - Gérard Mermet, Aubier, 1987, 259 pages

"Le peuple contre la démocratie" - Guy Hermet, Fayard, 1989, 310 pages

"L'Histoire" - Arnold Toynbee, Payot, réédition 1996, 709 pages

Note : Il s'agit d'une synthèse de ses 12 volumes parus sous le titre de "Etude de l'Histoire", ou "A Study of History", elle-même publiée volume après volume entre 1934 et 1961

 

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

 

 

6 décembre 2018

 



06/12/2018
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