POLITIQUE : ASPIRATEURS OU COALITIONS ?
Catégorie : Histoire et Actualité
Parlement européen à Strasbourg
Depuis les élections présidentielles de 2017, la France se trouve - par rapport à ses traditions issues de la IIIe, la IVe, et même la Ve République(s) - dans une drôle de situation ; en tout cas vraiment inconnue jusqu'à notre époque. En effet, jusqu'alors, je dirais depuis l'installation de la IIIe République (entre 1870 et 1875), notre pays avait été gouverné par des "coalitions" face auxquelles il y avait une opposition unique ou des oppositions (notre pays étant naturellement de type multipartiste). Une relative exception pourrait être signalée à propos des soutiens dont diaposa le régime de la Ve République du général de Gaulle (à partir de 1958) dans la mesure où le gaullisme compta surtout des forces venant de la droite, mais aussi de la gauche, avec tout un courant dit de "gaullistes de gauche", qui étaient issus de l'image de la légitimité historique qu'avait atteinte "le Général" depuis l'époque de la Résistance. Or, avec le considérable effondrement du PS - son candidat, Benoît Hamon, n'ayant obtenu que 6,2% des suffrages exprimés au 1er tour (en avril 2017) - et l'effritement originel de la droite (en raison des affaires qui collèrent à la peau de François Fillon, et sans lesquelles ce dernier aurait sans doute gagné ces élections), on se trouva dans une situation nouvelle fondée sur le "dégagisme". Celui-ci, que voulait exercer exclusivement Jean-Luc Mélenchon, fonctionna au profit de la personnalité d'Emmanuel Macron. Ce qui fit la force de celui-ci fut le fait qu'il avait été ministre dans un gouvernement de gauche, avec comme président de la République François Hollande (donc pour des actions politiques de type social-démocrate, voire même social-libéral), en somme pour un centre-gauche modéré...
Pendant la campagne des élections présidentielles, deux solutions politiques étaient possibles. La première, qui l'emporta face à Marine Le Pen lors du second tour du mois de mai, consistait à regrouper - ce qui ne s'était jamais produit dans notre pays (sauf en 1875, lorsque les monarchistes orléanistes et les républicains modérés s'unirent pour bâtir la IIIe République) des hommes et des femmes venant de la gauche modérée et de la droite également modérée ; une sorte de centrisme global en fait, dont Emmanuel Macron apparaissait comme incarnant l'axe central. Le nouveau Président de la République avait été élu par 2/3 des électeurs qui venant de la gauche et 1/3 de la droite (notamment des juppéistes), sans oublier les centristes historiques regroupés autour de François Bayrou comme force d'appoint. C'était le célèbre slogan macronien du "et droite, et gauche" lancé par le nouveau et jeune président, qui s'appuyait sur le fait que, depuis longtemps, la grande majorité des français appelaient de leurs vœux un Exécutif (Président et Premier Ministre) qui pourrait rassembler "les plus compétents" dans le personnel politique dirigeant et, en même temps, les plus aptes à faire face à l'extrémisme de droite comme de gauche (1)... Dans la foulée du résultat des présidentielles, le mouvement politique du président, LREM (La République En Marche), compta une majorité considérable de députés (304 sièges sur un total de 577), dont la moitié étaient d'anciens sympathisants, voire conseillers municipaux, socialistes - et le plus souvent de tradition rocardienne et cédétiste (la CFDT), soit de ce que l'on appelle la "deuxième gauche"...
Mais, une autre solution politique aurait été possible, et qui aurait pu - elle aussi - battre (peut-être moins nettement ?) Marine Le Pen pour le second tour du mois de mai 2017. Il aurait fallu pour cela pouvoir disposer d'un candidat unique de toutes les gauches, plus des écologistes d'EELV (Europe Ecologie Les Verts), au premier tour. Or, que se passa-t-il ? Lorsque les sondages sérieux furent communiqués, on put voir que c'était très nettement Benoît Hamon, se rattachant - aux yeux des électeurs de gauche - à la tradition socialiste, qui aurait eu le plus de chance de battre la candidate du RN (Rassemblement National) Marine Le Pen. En effet, Hamon monta, jusqu'à 16 à 17% dans les intentions de vote ; à des moments où Jean-Luc Mélenchon était à peine à 10%... A plusieurs reprises, Benoît Hamon demanda donc à Mélenchon - comme c'était la règle dans la tradition de la gauche française (sous le nom de "discipline républicaine"), depuis au moins la fin de la Guerre froide entre l'Est et l'Ouest, de se retirer à son profit pour le premier tour, en tant que "candidat des gauches le mieux placé". Ceci dans le but de lui permettre (et au profit des gauches dans leur ensemble) d'arriver second, voire premier, lors du premier tour, très près (voire devant) de François Fillon (avant le quasi-suicide politique du candidat de la droite) et de Marine Le Pen. Benoît Hamon fit cette proposition plusieurs fois au chef de LFI (La France Insoumise), et ne reçut que des réponses négatives, et souvent même assez agressives... Autrement dit - et si en plus EELV n'avait pas présenté de candidat (Yannick Jadot) -, il y aurait eu de grandes chances pour que l'union des gauches, plus les écologistes, remportent les présidentielles... D'autant plus qu'une partie des électeurs socialistes ne seraient pas allés se "réfugier" dans le vote en faveur d'Emmanuel Macron pour barrer la route à Marine Le Pen dès le premier tour...
Le grand responsable, en 2017, de l'impossibilité de mettre en place cette "coalition" des gauches et des écologistes fut donc Jean-Luc Mélenchon, et accessoirement l'ancien frondeur du PS Benoît Hamon qui, au lieu de reprendre en main les clés de l'appareil socialiste (pour en changer le logiciel - une partie du programme -, voire le nom), était allé créer une sorte de mini-PSU (2), sous le nom de "Génération(s)"... Tout ceci apparaît comme incompréhensible, sinon en rapport avec la querelle des egos (?). Et, la grande question est la suivante : pourquoi Mélenchon eut-il ce comportement suicidaire pour les gauches ? Il y a plusieurs éléments de réponse à ce niveau... En premier lieu, en rapport avec la personnalité même, le "moi", de Mélenchon, prêt à écraser tous les autres dirigeants des partis de gauche (par esprit de revanche à l'égard de ses anciens camarades du PS ?), plus son incapacité psychologique à accepter des compromis (de négocier), ce terme lui apparaissant toujours comme synonyme de compromissions. En second lieu, il faut dire qu'avec sa nébuleuse politique de LFI, Mélenchon quitta progressivement les rives de la gauche prise dans son ensemble, sur le plan historique, par rapport à une période remontant au moins à Jaurès (donc aux débuts du XXe siècle). Il quitta la gauche d'abord par son propre "culte de la personnalité" et son autoritarisme de plus en plus marqué au sens de son mouvement ; un autoritarisme qu'il avait pourtant su masquer pendant la campagne des présidentielles de 2017 avant le premier tour, où il obtint - en partie pour cette raison - environ 19,5% des suffrages exprimés ! (3). Il quitta ensuite les rives de la gauche par son évolution en liaison avec une ligne politique de type "populiste", en rupture de plus en plus importante avec ce qu'avait toujours été le socialisme et le communisme en France, prenant des positions très nettement souverainistes, puis même souvent quasiment nationalistes (4)... Au total, si Mélenchon était resté sur une ligne de gauche unitaire, fédérative, et populaire, il aurait pu gagner le second tour des présidentielles face à Marine Le Pen, François Fillon étant tombé auparavant - pour les raisons que nous connaissons. Mais, une question, que je me dois de poser : Mélenchon fait-il vraiment encore partie des gauches... ?
Nous savons tous que ce scénario d'une victoire mélenchoniste ne pouvait pas se produire, avant tout en raison de la personnalité même de Jean-Luc Mélenchon, qui joua - d'ailleurs un peu comme pour Emmanuel Macron - le jeu d'une stratégie "d'aspirateur" (voulant avaler sur son seul nom l'électorat de Benoît Hamon, celui qui restait du PS, une partie des sympathisants écologistes d'EELV, plus ce qui demeurait comme électeurs du PC ; soit une "gourmandise" gargantuesque assez inquiétante, qui lui coûta très cher, et qui fut suicidaire pour lui-même et l'ensemble des vrais partis de gauche. A partir de là, Emmanuel Macron, avec son "et droite, et gauche", vit s'ouvrir devant lui un véritable boulevard - autre effet "aspirateur" (comme je l'ai écrit ci-dessus), puisque LREM se présenta vite comme la volonté d'être quasiment la seule vraie force politique de la majorité présidentielle, les centristes de François Bayrou (le MODEM) pesant très peu dans cette affaire. Au lieu d'accepter l'idée de mettre en place une "coalition" (avec par exemple des constructifs de droite et de gauche indépendants) - et se comportant ainsi à la manière de Mélenchon -, le nouveau chef de l'Etat ne chercha absolument pas à bâtir une alliance, dans la mesure où, pour lui, LREM, qui comprenait des élus du centre-droit et d'anciens sympathisants socialistes, avait vocation à être le parti unique de la nouvelle majorité présidentielle... Et là, pour moi - et je pèse mes mots -, grave erreur, car plus aucune possibilité d'alternance douce, mais uniquement celle, frontale, avec le RN de Marine Le Pen...
Depuis les élections européennes, Emmanuel Macron semble avoir enfin compris la nécessité d'établir une "coalition" unissant tous les pro-européens au niveau de l'UE : la droite modérée, son mouvement centriste "Renaissance" et les membres de ce groupe de députés européens, une bonne partie des élus socialistes, plus des écologistes (surtout les GRÜNEN allemands) ; ceci pour faire face au danger que représente, au sein du parlement européen, et pour nos démocraties, la montée des populistes nationalistes - même si elle a été récemment (pour l'instant ?) endiguée. Unir dans une "coalition" les partis pro-européens (avec des différences au niveau de la conception de l'UE, mais unis sur l'essentiel) au sein du nouveau parlement européen est une excellente chose (5). Mais, que feront les élus d'EELV (alors que Les Verts allemands, ont toujours soutenu les majorités pro-européennes, de centre-gauche comme de centre-droit). Et puis, il reste, pour la France, l'étage national... LREM et EELV ne seront-ils pas obligés - à terme - de constituer une forme plus ou moins élaborée de "coalition" obligée, à l'image de celle que Les verts Allemands ont très souvent faite avec les socialistes du SPD, ou la CDU (les démocrates-chrétiens) ? Cette union pourrait se faire sur deux plans : le côté pro-européen bien sûr (même s'il y a des différences de conceptions - mais le danger populiste nationaliste menace) et les conséquences politiques éventuelles des récents propos du leader d'EELV Yannick Jadot ayant déclaré lui aussi qu'il n'était, même pas "et de droite, et de gauche", mais "ni de droite, ni de gauche"... ? L'avenir le dira... En tout cas, ce qui va dans ce sens, c'est le fait que la liste LREM a obtenu un résultat inattendu pour les européennes (pratiquement le même % de suffrages exprimés que le RN), et que EELV a besoin d'alliés, d'une "coalition" (à géométrie variable ?), pour avoir davange d'élus locaux, soit à gauche (mais quid de LFI de Mélenchon ?), soit justement avec LREM, pour des alliances (au moins ponctuelles) dans le cadre des futures élections municipales de mars 2020...
(1)- La question du PS ne se posait plus dans la mesure où les 2/3 de son électorat avait voté pour Emmanuel Macron, François Hollande ayant déclaré forfait pour se présenter aux primaires ouvertes socialistes, et Benoît Hamon règlant ses comptes avec Manuel Valls
(2)- Durant les années 1960 et au début de la décennie 1970, le PSU était un petit parti politique (par la taille), un laboratoire d'idées, qui était fondé sur le thème idéologique du socialisme autogestionnaire et de la planification démocratique. La plupart des militants du PSU le quittèrent lorsque Michel Rocard décida de rejoindre le PS (dirigé par François Mitterrand) lors des Assises du socialisme, débats qui eurent lieu à Paris fin octobre 1974
(3)- 19,5% des suffrages exprimés aux présidentielles en avril 2017 pour Jean-Luc Mélenchon... Même si les élections européennes sont différentes des présidentielles, je rappelle que l'outil personnel de Mélenchon, La France Insoumise, obtint à peine 6,5% des suffrfrages, ce qui entraîna, et entraîne encore, des contestations internes sur la ligne politique du "chef" au sein de la nébuleuse
(4)- Le "populisme" se définit principalement par les caractéristiques suivantes : une volonté de "dégagisme" (le "Qu'ils s'en aillent tous" de Jean-Luc Mélenchon, rejoignant le "Tous pourris" du FN de Jean-Marie Le Pen, et repris par le RN de Marine Le Pen), donc l'antiparlementarisme, le "culte du chef" (masqué sous couvert de "démocratie directe"), la xénophobie, les racismes, l'antisémitisme (pour l'extrême droite), un souverainisme tendant à devenir de plus en plus nationaliste (pour le mélenchonisme), une démagogie systématique, une colère protestataire, etc.
(5)- Les négociations ont abouti à la nomination (une validation aura lieu par un vote du Parlement européen) des cinq personnalités qui occuperont les "postes clés" à la tête de l'UE : le Démocrate de Gauche italien David Sassoli comme Président du Parlement européen, le socialiste espagnol Joseph Borell en tant que Haut représentant aux affaires étrangères, le centriste belge francophone Charles Michel à la Présidence du Conseil, la française Christine Lagarde, issue du centre-droit, à la tête de la Banque centrale Européenne, et la démocrate-chrétienne allemande Ursula von der Leyen comme Présidente de la Commission de Bruxelles
Jean-Luc Lamouché
5 juillet 2019
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