TROIS GRANDS SITES DU NÉOLITHIQUE
Catégorie : Histoire
La Préhistoire commença avec le Paléolithique, et, beaucoup plus proche de nous, fut suivie par le Néolithique. Le Paléolithique, âge de la pierre taillée, fut la première époque de la Préhistoire, presque contemporaine du Pléistocène (1), durant laquelle les humains étaient des chasseurs-cueilleurs et pécheurs. Les hommes du Paléolithique étaient la plupart du temps nomades, et se déplaçaient au gré des saisons en fonction des ressources alimentaires disponibles, végétales ou animales. La densité de population était très faible, en particulier pendant les périodes glaciaires. Chronologiquement, le Paléolithique commença en Afrique avec l’apparition des premiers outils lithiques (en pierre), il y a 3,3 millions d'années. Il s'acheva 11.700 ans avec la fin de la dernière période glaciaire, débouchant sur le Mésolithique (2), d'abord au Proche-Orient, puis en Europe et dans le reste du monde. Le Paléolithique couvre donc approximativement 98 % de la durée de la Préhistoire, et se subdivise en quatre sous-périodes, correspondant aux grandes évolutions culturelles et techniques mises en évidence par les différentes fouilles archéologiques : le Paléolithique archaïque, le Paléolithique inférieur, le Paléolithique moyen, et le Paléolithique supérieur. Quant à l'époque du Néolithique, ou âge de la pierre polie, si l'on prend le cas du Proche et du Moyen-Orient ou de l'Europe, elle commença vers 10.000 avant notre ère, et correspondit à un progrès global considérable de l'espèce humaine, telle une véritable révolution globale, avant tout économique - la première que connut véritablement l'humanité -, avec la sédentarisation, l'agriculture, l'élevage, et l'artisanat, et se termina (une convention admise par les préhistoriens et les historiens) avec l'invention de l'écriture en Mésopotamie, dans le cadre des cités sumériennes, vers 3.500 av. J.C...
Les trois grands sites du Néolithique auxquels je vais m'intéresser se situent au Proche et au Moyen-Orient. En partant du plus ancien sur le plan chronologique, il s'agit d'abord de celui De Göbekli Tepe (situé en Turquie actuelle, dans la région de l'Anatolie du sud-est), puis de Catal Hüyük (toujours en Turquie et en Anatolie, mais dans sa partie centrale), et enfin de Jéricho (localisé en Cisjordanie actuelle, sur la rive ouest du Jourdain). La grande caractéristique commune entre ces trois sites archéologiques, c'est qu'ils correspondent aux civilisations et établissements humains les plus anciens de l'humanité, plusieurs millénaires avant l'apparition de la civilisation sumérienne - qui donna naissance aux premières cités-états, à des monuments religieux de taille gigantesque, et à l'invention de l'écriture, au débouché méridional des terres donnant sur le Golfe Persique - et près d'un millénaire avant la construction des grandes pyramides d'Egypte. Avec ces trois sites, et pour ce qui concerne le Proche et le Moyen-Orient, et donc également l'Europe occidentale, nous nous trouvons ainsi aux origines des premières manifestations civilisatrices d'envergure produites par l'espèce humaine. Cela dit, il convient de faire bien attention, car, d'une part, ces trois sites ne correspondent pas à la même période du point de vue chronologique, et, d'autre part, ce qu'ils nous donnent à voir présente des différences fort importantes...
Avec d'abord le site néolithique de Göbekli Tepe...
Reconstitution du site de Göbekli Tepe
Vue partielle du site de Göbekli Tepe
Je commence donc par Göbekli Tepe, en Anatolie du sud-est - comme je l'ai déjà annoncé. Göbekli Tepe se trouve sur un tell, qui est un monticule (en arabe ou en hébreux) artificiel formé à partir des déchets accumulés par les générations de personnes ayant vécu sur le même site depuis des centaines, ou plus fréquemment des milliers, d'années. Le tell de Göbekli Tepe comprend deux phases d'utilisation, considérées par le découvreur du site et excavateur allemand Klaus Schmidt, de nature sociale ou rituelle, qui remontent au Xe-VIIIe millénaire avant notre ère. Au cours de la première phase, appartenant à la période dite du Néolithique A pré-poterie, des cercles de piliers en pierre en forme de T massifs ont été érigés, et constituent à ce jour les plus anciens mégalithes connus au monde. Les recherches - avec des moyens très modernes - ont permis de connaître et de repérer plus de 200 piliers dans environ une vingtaine de cercles. Chaque pilier a une hauteur maximale de six m et pèse jusqu'à dix tonnes. Ils sont installés dans des prises qui ont été creusées au niveau du substrat rocheux. Dans la deuxième phase, appartenant au groupe du Néolithique pré-poterie B, les piliers érigés sont plus petits et constitués de pièces rectangulaires avec des sols en chaux polie. Le site fut abandonné après le Néolithique pré-poterie B. Les structures plus jeunes datent de l'époque classique. Les détails de la fonction de la structure restent encore un mystère (3). Le site a été en partie fouillé par une équipe d'archéologues allemands placés sous la direction de Klaus Schmidt de 1996 jusqu'à sa mort en 2014. En 2018, il fut classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Il faut ajouter un point important : la stratigraphie (les couches qui s’organisent en strates naturelles qui se superposent les unes au-dessus des autres selon la chronologie des événements qui ont eu lieu) est très imposante à Göbekli Tepe, ce qui atteste de nombreux siècles d’activité ; ils débutèrent au moins dès l’Epipaléolithique, plus couramment appelé le Mésolithique. On pense qu'à cette période finale du Paléolithique, le site de Göbekli Tepe servait de rendez-vous de chasse, et de centre de rencontre sociale, pour ces hommes, dans le cadre d'un ensemble précédant juste le Néolithique...
Avec ensuite le site néolithique de Catal Hüyük...
Reconstitution du site de Catal Hüyük
Une partie du chantier de fouilles de Catal Hüyük
Je passe au site de Catal Hüyük, en Anatolie plus centrale. Çatal Hüyük est un site archéologique de Turquie qui apparaît lui aussi comme l'un des plus importants de ceux du Néolithique découverts au Proche-Orient. Fondé à la fin du VIIIe millénaire av. J.-C., donc un peu plus près de nous par rapport aux premières phases de Göbekli Tepe, il atteignit son extension maximale entre le milieu du VIIe et le début du VIe millénaire av. J.-C. et couvrit une superficie d'environ 13 ha pour une population évaluée à 7.000 habitants et un millier de maisons. Au total, 12 niveaux d'habitation ont été dégagés (et la plus grande partie du site reste à fouiller). Les maisons sont constituées de briques de terre crue séchée au soleil. Ces briques sont d'une très grande dimension dans les phases les plus anciennes, certaines atteignant 1,5 m de long. Elles diminuent progressivement de taille au cours des siècles. Au début de l'occupation, les maisons sont non seulement accolées les unes aux autres, mais partagent les mêmes murs. Rapidement, bien qu'étant toujours accolées les unes aux autres, chaque maison possédait ses quatre murs. En raison de l'absence de rues, les habitations étaient seulement accessibles par une ouverture pratiquée dans le toit en terrasse et par des échelles en bois aboutissant au coin cuisine. Elles comprenaient généralement une pièce commune carrée de 20 à 25 m2 et des pièces annexes en partie réservées au stockage et à la préparation de la nourriture. Des petites fosses creusées dans le sol servaient de structures de stockage, pour des éléments d'obsidienne ou des boules d'argile, etc. La pièce principale disposait de bancs et de plates-formes pour s'asseoir et dormir, d'un foyer rectangulaire surélevé, et d'un four à pain voûté, situés généralement près du mur sud, c'est-à-dire sous l'ouverture d'accès au toit. L'architecture était renforcée par des piliers de bois intégrés aux murs. Les toits se constituaient d'une armature de chêne et de genévrier recouverte d'argile et de roseaux. Chaque maison était occupée durant environ 80 ans. Ensuite, elle était vidée de son mobilier, les sols nettoyés, et les différentes structures démantelées. Le four était parfois détruit, ou comblé. Puis, l'armature en bois de la maison était retirée, et les murs progressivement démolis, les briques broyées servant à combler l'espace vide. Il y avait alors construction d'une nouvelle maison, souvent sur le même plan que la précédente. Dans certains cas, on a pu observer six phases de reconstruction successives au même endroit. Ce site archéologique de Catal Hüyük représente le premier exemple - avec la première strate archéologique de Jéricho - de ville ou plutôt de proto-cité (4) de l'histoire de l'humanité. Des archéologues pensent que les populations qui y habitaient étaient ceux qui mirent au point les premières cités-états de la civilisation sumérienne ; ce qui fait qu'ils les considèrent comme des "proto-sumériens", descendus vers le sud des millénaires plus tard...
Avec enfin le site néolithique de Jéricho...
Reconstitution de la proto-cité de Jéricho
Vue sur les fouilles de la "Tour de Jéricho"
Pour ce qui concerne le site de Jéricho, la plupart des archéologues s'accordent pour dire qu'il s'agit de la plus vieille cité (bien que ce terme soit parfois discuté) du Proche et du Moyen-Orient, voire au-delà, d'une superficie de deux à trois ha . On a pu mettre au jour les restes de plus de 20 établissements successifs, dont le premier remonte à 9.000 ans av. J.-C. Les archéologues ont découvert les ruines d'une Tour, appelée "Tour de Jéricho" (5), remontant justement à environ 9.000 ans avant Jésus-Christ ; avec en plus un mur du type fortification... La découverte de cette haute tour de pierre située sur le bord de la ville eut lien en 1952, et elle a toujours déconcerté les scientifiques. Ceci à tel point que ces derniers ont pu parler du premier "gratte-ciel" du monde... Les constructions en pierre en disent long sur le système d'organisation des populations de la période, puisqu'on comprend qu'ils réussissaient à ériger des murs très épais et très hauts comme autant de fortifications pour protéger la ville. Et comment ne pas se rappeler que, dans la Bible, qui n'est certes pas une source historique directe, il est écrit que Jéricho fut la première ville de Palestine qui tomba aux mains des Israélites sous les ordres du successeur de Moïse, Josué. La ville aurait été acquise par le peuple conquérant de la célèbre "Terre promise" après la mise en œuvre d'un mystérieux rituel de courses autour de celle-ci et l'épisode connu sous le nom des "trompettes de Jéricho"... Les recherches archéologique à Jéricho ont été menées par Roy Liran, doctorant, et le Dr Ran Barkai, du Département d'Archéologie et des Anciennes Cultures du Moyen Orient de l'Université de Tel Aviv. Les chercheurs ont pu noter qu'on avait là le premier cas où l'homme avait érigé une structure aussi haute, et cela avant même la transition vers la production agricole et alimentaire liée au Néolithique dans la région. Roy Liran et le Dr Barkai pensent que la tour, qui a probablement nécessité une dizaine d'années pour sa construction, doit être considérée comme une indication de luttes pour le pouvoir au début de l'époque du Néolithique. Une personne, ou des personnes, auraient exploité les peurs primitives des habitants de Jéricho afin de les persuader de construire cette tour protectrice (?). Roy Liran et le Dr Barkai expliquent que "l'ombre de la colline, lorsque le soleil se couche le jour le plus long de l'année, tombe exactement sur la tour de Jéricho, l'enveloppe puis couvre l'ensemble du village" ; "pour cette raison (poursuivent-ils), nous suggérons que la tour était un élément terrestre reliant les habitants du site, avec les collines autour d'eux et avec l'élément céleste du soleil couchant". Sa construction pourrait donc être liée à la peur primitive et à des croyances cosmologiques des habitants (?). Cette première ville du monde était en fait un lieu de chasseurs-cueilleurs pré-agricoles. "C'était une période où s'est mise en place la hiérarchie ainsi que le leadership", a pu déclarer le Dr Barkai au Jerusalem Post, ajoutant : "nous pensons que cette tour a été l'un des mécanismes pour motiver les gens à prendre part à un mode de vie communautaire". Certains chercheurs avaient expliqué que la tour et le mur (murs défensifs imposants, de 3,5 m de large, 5 m de haut, eux-mêmes protégés par un fossé de 2 m de profondeur et 8 m de large) étaient un système de fortification et une défense contre les inondations, alors que d'autres suggérèrent que la tour et le mur étaient un marqueur géographique - celui du territoire des premiers habitants de Jéricho - et un symbole de la richesse et de la puissance de l'ancien village devenant par étapes une cité (?). Le site fut détruit à la fin du bronze moyen (aux alentours de 2.000 av. J.C.), peut-être en raison d'un tremblement de terre, ou à cause d'une forte incursion militaire des Égyptiens...
(1)- Le Pléistocène fut la première période géologique du Quaternaire et l'avant-dernière sur l'échelle des temps géologiques. Elle s'étendit environ de 2,58 millions d'années à 11.700 ans avant le temps présent. Le Pléistocène fut marqué par les cycles glaciaires. Sa fin correspondit plus ou moins à celle que, pour ce qui concerne l'évolution de l'humanité, les préhistoriens appellent le Paléolithique
(2)- Le Mésolithique fut la période située chronologiquement et culturellement entre le Paléolithique et le Néolithique. Littéralement, il s'agit de "l'âge moyen de la pierre". Pendant cette période, les groupes humains perpétuèrent un mode de subsistance qui avait été celui du Paléolithique (chasse, pêche, cueillette), mais sous un climat plus tempéré (proche du climat actuel), et en commençant à réduire leurs déplacements saisonniers et à mêler débuts de pratiques agricoles et activités telles qu'elles étaient au Paléolithique (chasse, pêche, cueillette). Le Mésolithique commença au Proche-Orient, puis s'étendit progressivement
(3)- Selon Schmidt, Göbekli Tepe serait un sanctuaire de montagne de l'âge de pierre. La datation au radiocarbone, ainsi que l'analyse stylistique comparative, indiquent qu'il s'agirait du temple le plus ancien connu à ce jour. Schmidt a estimé que ce qu'il appela cette "cathédrale sur une colline" était une destination de pèlerinage attirant des fidèles jusqu'à une distance de 150 km. Les os de boucherie trouvés en grand nombre dans le gibier local, tels que les cerfs, les gazelles, les porcs et les oies, ont été identifiés comme des ordures provenant d'aliments cuits ou préparés pour les fidèles. Pour Schmidt, le temple aurait ainsi précédé la ville - par rapport notamment aux futures cités-états sumériennes
(4)- Pour les archéologues, dès l'exemple de Catal Hüyük, le concept de proto-cité - à l'instar de celui de proto-état, structure qui n'est pas assez développé pour que l'on puisse vraiment parler d'un Etat - correspond à bien plus qu'un simple regroupement en gros village. Le préfixe proto, du terme grec prôtos, ou premier, désigne - en archéologie - l'étape d'une réalisation ou d'une séquence culturelle plus ou moins proche de l'accomplissement
(5)- La célèbre "Tour de Jéricho" a posé des problèmes aux archéologues puisqu'elle fut érigée avant le véritable essor de l'agriculture dans le cadre du "croissant fertile". Il s'agit certes d'un édifice du Néolithique, d'une hauteur de 7,75 m et d'une largeur de 9 m présentant 22 marches, et qui est datée de 8.300 av. J.C. On l'a premièrement identifiée comme une muraille, mais elle ferait en réalité partie d'une digue destinée à contrer les crues de la Wadi. Jusqu'à la découverte du temple de Göbekli Tepe en 1994 et des tours du Tell Qaramel en 1999 - monticule archéologique situé dans le nord de l'actuelle Syrie, à 25 km au nord d'Alep, et qui est le meilleur candidat pour le titre de vestige d'édifice public le plus ancien au monde
Eléments bibliographiques :
"Le premier temple : Göbekli Tepe" - Klaus Schmidt, Cnrs, 2015, 420 pages
"Catal Hüyük : Une des premières cités du monde" - James Mellaart, Tallandier, 1971, 229 pages
"De Babylone à Jéricho" - André Parrot, Imprimerie Nouvelle, 1934, 32 pages
Ce petit ouvrage pose la question des rapports entre certains sites archéologiques et la Bible
Jean-Luc Lamouché
28 août 2019
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