UN MOUVEMENT POPULISTE EN FRANCE
Catégorie : Actualité générale
Ce que certains observateurs appellent de plus en plus "jaunisme" est l'aspect spectaculaire - et ceci depuis maintenant plusieurs semaines et même mois - de l'essor d'un mouvement populiste à plusieurs têtes, en France. En effet, une partie importante des Gilets Jaunes sont (étaient en fait - surtout à l'origine) des gens qui n'avaient jamais manifesté, fait partie d'aucun syndicat, et encore moins d'un parti politique, et parfois même n'avaient jamais voté). C'étaient ceux qui, au niveau des ronds-points, le plus souvent pacifiques et axés au départ sur une revendication précise centrée essentiellement sur les taxes à propos de la hausse des prix des carburants, s'initiaient à une nouvelle forme de "politisation" fondée sur des slogans complètement contradictoires, certains faisant penser à des thèmatiques d'extrême droite et d'autres au contraire d'extrême gauche. A côté de ces Gilets Jaunes du "jaunisme" basique, il y avait bien sûr des forces militantes et sympathisantes issues des deux grands partis politiques populistes français : avant tout le RN (Rassemblement National) de Marine Le Pen et LFI (La France Insoumise) de Jean-Luc Mélenchon, dont les slogans commencèrent à se rapprocher de plus en plus ; sans oublier la course à la thématique d'extrême droite de Laurent Wauquiez au sein du parti LR (Les Républicains). Un mouvement populiste existe donc dans notre pays, mais la question que je devrais poser est la suivante : ce mouvement pourrait-il se cristalliser politiquement, à l'image de ce qui se passa au Venezuela, en Catalogne, et récemment en Italie, où les populistes d'extrême droite et ceux d'extrême gauche gouvernent en coalition depuis maintenant un certain temps ?
Mais, tout d'abord, qu'est-ce que le "populisme" (par rapport par exemple à ce que fut le Front Populaire en France entre 1936 et 1938), et à quoi peut-on le reconnaître, depuis l'époque du général Boulanger (vers la fin du XIXe siècle) ou du poujadisme (sous la IVe République), etc. ? Dans le populisme, il y a le rejet - voire la haine - envers les "élites" (au nom du "peuple"... quasiment sanctifié). Ces "élites" sont jugées "pourries" et "corrompues" dans leur ensemble ; ce qui est bien évidemment totalement faux. Rappelons-nous du "Tous pourris !" frontiste de Jean-Marie Le Pen, puis de sa fille Marine, et du "Qu'ils s'en aillent tous !" de Jean-Luc Mélenchon, qui fit grincer des dents chez les communistes vers 2013... ! Il y a là un processus de généralisation créé à partir d'un certain nombre de cas réels, indiscutables, qui, par le biais des "représentations", deviennent des archétypes ; en somme des images immédiatement opérationnelles. Il y a aussi, ce qui est lié au point précédent, une forme d'antiparlementarisme, avec la dénonciation de la démocratie représentative. On s'en prend à "ces feignants de députés, qui s'en metent plein les poches !", et "dorment à l'Assemblée - ce qui est encore très largement faux... C'est le très ancien : "Mais, qu'est-ce qu'ils foutent, eux, là-haut ?" (voir l'ouvrage du rad-soc Alain, sous la IIIe République, intitulé : "Citoyens contre les pouvoirs"). Dans le prolongement de ce livre, Marcel Gauchet a dénoncé il n'y a pas très longtemps le terrible jeu des grands appareils médiatiques, qui, pour faire de l'audimat, ne se situent plus en "contre-pouvoirs" (comme auparavant), mais en "anti-pouvoirs". Combien de français connaissent aujourd'hui le nombre de séances de nuit qu'un bon nombre de parlementaires (députés et sénateurs), sont amenés à faire, de même que ce qui concerne leur travail au sein des commissions (comme celles du budget ou des affaires étrangères, etc.) ? En somme, les députés et les parlementaires, "bavards inutiles", seraient "payés grassement à ne rien faire !"... A nouveau, faux, car on ne doit pas faire de certains cas une généralité.
Et puis, on a vu apparaître un basisme de ce que j'appellerais - et c'était inévitable - un grand n'importe quoi, vilipendant la démocratie représentative et prétendant être "le peuple" alors que l'ensemble des manifestants Gilets Jaunes n'étaient qu'une fraction du peuple (300.000 manifestants au maximum), et ceci même s'il y avait "soutien" (mais, quel est exactement le sens de ce mot dans un tel contexte ?) d'une partie très majoritaire de l'opinion publique. Il y a là quelque chose d'inquiétant pour la démocratie, nos libertés élémentaires, surtout lorsque des expérientations de propositions de RIC (Référendums d'Initiative Populaire) ont parfois abouti à la demande du rétablissement de la peine de mort, l'établissement de la torture par rapport au terrorisme, et le retour sur la loi permettant l'avortement (même si celui-ci est toujours un drame et ne peut en aucun cas - pour ce qui me concerne - être utilisé comme un moyen de contraception) ; "un drame" pour des femmes, c'est ce qu'avait dit Simone Veil lors du vote de la loi sur l'IVG (Interruption Volontaire de Grosesse) sous Giscard d'Estaing en 1975... Certains vont jusqu'à prétendre qu'avec le "jaunisme", ils seraient en train de faire "la révolution", ou une sorte de "nouveau mai 68"... ! Là, sauf pour une minorité (car les thématiques développées le montrent), il y a contradiction... mauvaise pioche... !
Pour les Gilets Jaunes du "jaunisme" originel, tout commença autour des taxes sur les carburants, ces gens faisant l'impasse sur le fait que c'était la politique de Donald Trump par rapport à l'Iran qui avait contribué à provoquer une bonne partie de l'augmentation du prix des hydrocarbures. Il faudrait aussi signaler qu'il y avait eu avant l'affaire de la limitation de vitesse à 80 km/h. Puis, progressivement, les revendications fusèrent dans tous les sens. La dénonciation de l'augmentation de la CSG (Contribution Sociale Généralisée) pour les retraités (CSG qui est pourtant l'impôt le plus juste socialement puisqu'il touche également le capital, et pas seulement le travail). Le déni du paiement des impôts (pour certains), fait gravissime ! Le RIC, dans des sens complètement contradictoires (entre la peine de mort et la torture d'une part et la démocratie directe du genre des "Nuits debout" d'il y a déjà un certain temps d'autre part). La baisse, voire la disparition, du nombre des parlementaires, et la diminution de leurs émoluments (un fantasme au moins partiel, même si). Surtout, on vit apparaître, à côté de l'ambiance bon-enfant des premiers ronds-points (pour ceux que j'ai appelés dans dans un autre article les "Gilets Jaunes familles"), une violence de plus en plus enragée. Et il ne faudrait pas croire que ce furent seulement les Blacks blocs ultra-anarchistes (qui font de la casse idéologique) qui en étaient les seuls coupables. En effet, des Gilets Jaunes de base se laissèrent entraîner par étapes dans la violence parce qu'ils étaient placés dans le cadre d'un phénomène que les psychiatres appellent "la toute-puissance", n'ayant même plus, au niveau de la plupart d'entre eux, la moindre idée sur les revendications à exiger... J'ajoute que les Gilets Jaunes qui tentaient d'être des porte-paroles du mouvement (qui, en fait, n'en n'était pas un, par inexistence de toute cohérence interne) étaient désavoués par d'autres, chacun aspirant à être le représentant de soi-même, et de tous. Ce phénomène gravissime fut le résultat de la montée de 30 ans (au moins) d'hyper-individualisme (le "moi d'abord !")... Cette violence - réelle et symbolique - alla jusqu'à se fixer sur une véritable haine envers Emmanuel Macron, avec ces effigies "daechisées" où l'on voyait le chef de l'Etat, égorgé selon les méthodes de la secte totalitaire sunnite ! Si un jour le Président de la République était assassiné (malgré l'existence d'un service de protection rapprochée de valeur), il ne faudrait pas s'en étonner... car du symbole à l'acte, quand le premier est aussi terrifiant, tout devient possible...
Passons à présent au "jaunisme" des partis populistes mélenchoniste, du RN de Marine Le Pen, de l'ultra-droite soralienne et autres, etc. Depuis plusieurs semaines, les observateurs et les arrestations avec mises en gardes à vue nous montrent des faits très importants - là aussi une évolution... Le populisme mélenchoniste est en recul dans le "jaunisme" global. En quoi puis-je affirmer cela ? Eh bien, c'est très simple. Il y a un peu plus d'un mois, les grands instituts de sondages français ont voulu voir s'il y avait "un effet Gilets Jaunes" dans le cas où des élections présidentielles - comme en 2017 - auraient lieu maintenant. Marine Le Pen arriverait en tête au premier tour avec 28% des suffrages exprimés, soit quatre à cinq points de plus qu'en avril 2017, tandis que Jean-Luc Mélenchon descendait entre 13 et 14%, soit une perte équivalente - ce qui ne veut pas dire qu'il y aurait eu un transfert automatique de voix de l'un sur l'autre car l'électorat est depuis longtemps très volatile. J'insiste sur le fait que je ne donne pas ici les % d'un seul institut, mais de la moyenne de plusieurs (Elabe, Harris, Ifop, etc.). De plus, lors des contrôles des cartes d'identité, pour les gardes à vue, on voit depuis quelques semaines que l'on a affaire à de plus en plus de représentants de l'extrême droite populiste et de l'ultra-droite. Et puis - à titre personnel - je l'ai vu et entendu à Montpellier (où il y a quand même 500.000 habitants dans l'agglomération : elle est donc représentative), avec la montée des thémes vociférés et qui sont ceux du populisme d'extrême droite et de l'ultra-droite. En somme, LFI perd pied dans le cadre de ce que Mélenchon voulait tenter de faire : tirer les marons du feu d'une crise de régime allant jusqu'à quel franchissement éventuel de limite... ?
La grande question... une cristallisation politique est possible, qui irait, au sommet, de la droite dure et de l'extrême droite et ultra-droite populiste jusqu'au populisme de gauche ? Ce qui amènerait à dire oui, c'est le rapprochement de certains thèmes qui sont lancés lors des manifestations du samedi. Il y a la dénonciation du "système", aussi bien en France qu'en Europe et dans le monde, avec en plus une dose de théorie du complot ! Et il y a le cri : "Macron, Rotschild !" - et non pas Macron, banquier... ! ce qui est pour certains très significatif... Mais, ce qui ne peut, à mon avis, que nous amener à répondre non, c'est tout l'héritage de la philosophie des Lumières et de la Révolution française, issu de 1789, et qui devrait résister à cette vague politiquement oxymorique. En effet, et malgré la relative "doriotisation" de Mélenchon, si des éléments importants de LFI se rapprochaient politiquement de l'extrême droite (RN de Marine Le Pen, etc.), cela ne pourrait que provoquer l'implosion du mouvement mélenchoniste. Simplement - et ce serait fondamental - parce que tout dépendrait de ce que des militants et sympathisants des Insoumis feraient passer en premier : soit leur rejet du "système" (comme les populistes d'extrême droite), en rapport avec l'évolution de plus en plus nationaliste de Jean-Luc Mélenchon, ou la lutte prioritaire justement contre le danger nationaliste, ce qui ne pourrait que provoquer chez une partie de LFI (pour quel % ?) la volonté de lutter prioritairement contre la montée partout en Europe et dans le monde du nationalisme - car le nationalisme, c'est la guerre (pas mondiale, mais). Cela pourrait même correspondre, chez les mélenchonistes, à une rupture générationnelle (les plus jeunes priorisant "l'anti-système" et les plus âgés "l'anti-nationalisme", fondé sur un ancien réflexe "antifasciste" de type "républicain"). Je rappelle qu'en 2017, ce fut seulement un électeur de Mélenchon sur deux qui vota pour Emmanuel Macron au second tour afin de faire barrage à la candidate nationaliste Marine Le Pen, et que, de plus, 16% de ces mêmes électeurs de Mélenchon du premier tour avaient voté... pour Marine Le Pen...
L'avenir, pour 2022, ou la fois suivante, en 2027, répondra peut-être à cette question avec la plus grande précision... Certains pourraient dire toutefois : "Mais, Macron dégagera avant !". Il y a plusieurs problèmes qui se posent par rapport à ceux qui affirment si légèrement un propos de ce type. D'abord, même si le pouvoir Exécutif est actuellement faible en France - ou au moins en tout cas très affaibli -, l'Etat (la gendarmerie, la police, les institutions) est traditionnellement fort, voire très puissant. C'est d'ailleurs bien pour cette raison - je pense notamment à la réforme de nos institutions (qu'il faut envisager de faire le plus tôt possible, mais certainement pas maintenant, dans la précipitation et les troubles que nous traversons) - que le RN et LFI exigent tout et tout de suite sur ce plan... Je dirais pour finir que ce devraient être Voltaire, Diderot, Montesquieu, Rousseau, etc., qui nous servent intellectuellement de barrages par rapport à l'éventualité d'une alliance entre les populistes d'extrême gauche et les populistes d'extrême droite, plus des Gilets Jaunes qui se seraient structurés en parti politique crédible dès les européennes de mai 2019 ; ou bien alors, cela voudrait dire que la "génétique politique française" serait en train de sombrer totalement dans le gouffre du pire... ! Nous avons, je le crois toujours, ce que j'appelle des "anticorps démocratiques". La sympathie de départ de l'opinion publique française à l'égard des Gilets Jaunes pris dans leur ensemble recule de semaine en semaine en raison de la montée de la violence dans certaines grandes villes. La semaine dernière, les instituts de sondages français, qui sont les meilleurs du monde (contairement à ceux des Etats-Unis), donnaient un chiffre moyen de sympathie légèrement inférieur à 50% envers le "jaunisme" alors qu'il monta jusqu'à 72% à ses débuts... Plus les violences auront lieu, plus les ultras-radicaux auront pignon sur rue, augmentant leur activisme, notamment pour des raisons de pertes de niveau de vie dans certains milieux économiques du type commerçants ou autres, etc., et plus la sympathie envers le "jaunisme" continuera inévitablement de chuter...
Jean-Luc Lamouché
22 janvier 2019
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