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LE SOCIALISME EST-IL ENCORE POSSIBLE ? - 2

 

 

Catégorie : Histoire et Actualité

 

 

 

 

   Dans cette seconde partie, je commencerai par analyser les causes profondes qui provoquèrent - depuis les années 1980 - l'échec plus ou moins important des expériences socialistes en m'appuyant sur des aspects généraux, c'est-à-dire communs. Ensuite, j'essaierai d'évoquer des problématiques à propos de la sortie éventuelle de ces échecs pour un éventuel nouvel accès au pouvoir des gauches en Europe (le cas des pays d'Amérique latine me semblant encore trop tourné dans la direction du populisme d'inspiration chaviste, donc étranger au socialisme historique). Ceci m'amènera à pointer quelques éléments. Comment faire pour aller vers une sociale-démocratie renouvelée, refondée, partant à nouveau à l'offensive sur la base d'une globalisation progressiste ? En fonction de quelle situation et de quelles alliances ? Un socialisme radical pourrait-il lui aussi accéder au pouvoir ? D'autres solutions - plus complexes - sont-elles envisageables, comme ce que l'on a vu naître depuis quelques années au Portugal ? Le mélenchonisme peut-il toujours être considéré comme un socialisme radical ou bien s'agit-il d'autre chose ? Fait-il toujours partie de la "gauche" ou bien est-il devenu une sorte de mutant politique, et quel avenir pour LFI, qui connaît depuis quelque temps d'importantes divisions... ? Un dernier point devra être évoqué consistant à se demander si, dans certains pays, le social-libéralisme (forme atténuée de la sociale-démocratie) ne serait pas désormais, dans de nombreux pays, la seule solution viable pour un socialisme du possible, sous le terme de "progressisme"... ?

 

   En ce qui concerne les causes des échecs plus ou moins marqués de la sociale-démocratie, qui a été balayée du pouvoir dans un nombre important de pays européens, je vais en présenter un certain nombre de causes. D'abord, bien sûr, la pression de la sphère financière qui organisa tout pour étrangler les tentatives de maintien de l'Etat providence (ou "Welfare State"), en profitant de la crise économique (commencée en 1973, puis accrue en 1979, et ayant connu une accélération en 2008). Il faut dire que les Etats nationaux sont désarmés par rapport au pouvoir dont dispose les milieux financiers. Rappelons que c'est justement cette sphère financière qui obligea François Mitterrand à changer de politique en 1983 avec le passage de la politique de "rupture avec le capitalisme" à celle de la "rigueur". De la même façon, c'est cette même sphère financière qui obligea Aléxis Tsipras en Grèce (tout comme Lula avant lui au Brésil) à passer de la volonté de mettre en place un socialisme radical à des positionnements politiques de centre-gauche. Il faut bien comprendre qu'un des problèmes actuels les plus importants tourne autour du décalage entre une économie globalisée, dominée par les grandes sociétés transnationales, et des Etats-nations restant largement en place et hérités essentiellement du XIXe siècle - sauf en Europe, où l'UE apparaît comme une tentative d'intégration, mais malheureusement avant tout économique et si peu sociale. Deux solutions sont alors possibles : fermer les frontières et tomber dans les ornières du nationalisme du type RN de Marine Le Pen (en France), ou accepter de nouveaux transferts de souveraineté afin d'améliorer la construction européenne dans un sens plus progressiste, donc plus social...

 

   Ensuite - et toujours en rapport avec la crise économique -, il y a la faiblesse de la croissance. On sait que l'Etat providence fut mis en place à une époque, les "Trente Glorieuses" (entre 1945 et 1975), pendant laquelle la croissance économique, pour les pays de l'Europe de l'ouest et du nord, se situait entre 3% et 5% par an. Or, si l'on prend l'exemple de la France, et même de l'Allemagne, pour les 12 derniers mois, elle fut respectivement de 1,4% et 1,2%. Autrement dit, le "gâteau" à répartir, ou le "grain à moudre", permettant de bien faire fonctionner l'Etat providence, qui est une des bases pour un bon fonctionnement de la sociale-démocratie, mais aussi du socialisme radical, n'est plus au rendre-vous. De plus, même s'il nous était possible de retrouver des % de croissance de l'ordre de 3%, nous serions pris dans une véritable tenaille, dans la mesure où nos pays ne feraient plus l'effort promis en faveur de l'écologie (le climat et l'environnement) - notamment en liaison avec ce qu'avait annoncé comme objectifs la COP21 (1)...

 

   Il y a une autre cause qui nous permet de comprendre les échecs de la sociale-démocratie et du socialisme radical. Il s'agit de la disparition progressive des aspirations réelles à la solidarité, et donc de l'essor de l'individualisme. Historiquement, le socialisme - sous toutes ses formes - naquit dans le cadre d'une vision collective (voire collectiviste) de la société, fondé sur la "classe ouvrière", qui était assez solidement armée par ce que les marxistes (et surtout les marxistes-léninistes) appelaient une "conscience de classe". Or, au moins depuis une bonne trentaine d'années, les aspirations liées au "moi", ou au "je", se sont considérablement développées. Sur ce plan, on pourrait dire que de nombreux pays européens ont pris les mauvais côtés de la société des Etats-Unis - le "struggle individualism" (ou "individualisme forcené") - sans pour autant s'inspirer de ses bons côtés (tel qu'une certaine solidarité civique). Prenons l'exemple de la France : il est bien connu que les Français sont tous favorables à la sécurité sociale, mais à condition que... ce soient les autres qui la payent... Beaucoup de nos compatriotes sont favorables à la solidarité, mais à condition qu'elle... aille des autres vers eux-mêmes... Très souvent, un français considère le vrai droit d'un autre français comme un... privilège, et par contre son propre privilège comme un... vrai droit... N'y a-t-il pas là une véritable machine à détruire toute conception de remise sur pied de quelque forme de socialisme que ce soit ? Ajoutons au passage la disparition progressive de la "classe ouvrière", la faiblesse du syndicalisme et le faible nombre des adhérents et des militants dans les partis politiques se référant au socialisme au sens large...

 

   Mais alors, et malgré tout ce qui précède, des solutions paraissent-elles envisageables pour la restructuration de socialismes en Europe ? La première chose à dire, c'est que, dans chaque pays, rien ne sera possible sans unité et sans un leader incontesté sachant négocier et accepter des compromis, à la tête d'une coalition ; ceci sauf pour les nations dans lesquelles un grand parti social-démocrate occupe encore une partie importante du champ politique. En France, l'impossibilité pour Jean-Luc Mélenchon d'accepter la moindre idée de compromis - qu'il vit comme une compromission - rend les choses extrêmement difficiles. De plus, son populisme pose problème à tous ses alliés éventuels. La deuxième obligation réside dans le fait d'arriver à stabiliser une croissance économique autour de 2% par an, car un tel chiffre permettrait le financement de mesures sociales en faveur des plus défavorisés et d'une partie des classes moyennes sans empêcher la prise d'orientations de nature écologique en rapport avec ce qui avait été signé lors de la COP21. C'est très simple à comprendre : en-dessous de ce chiffre de 2%, le financement serait insuffisant, et au-dessus (ce qui apparaît d'ailleurs comme plus difficile à obtenir), c'est contre l'écologie que les politiques seraient menées. L'idée d'une "croissance sélective", qui serait négociée dans le cadre d'une coalition politique à mettre en place pour gouverner, semblerait adaptée : laisser en croissance des secteurs, mettre en croissance zéro d'autres secteurs, et placer d'autres secteurs en décroissance...

 

   A propos d'alliances, nous avions vu, dans la première partie de cet article, le cas que représente l'union des gauches "bancale" au Portugal ; ce modèle est-il transposable dans d'autres pays européens ? De plus, n'oublions pas que récemment le PSOE (les socialistes espagnols) ont remporté les élections législatives en musclant leur programme politique : beaucoup plus socialiste et moins social-libéral. Peut-on voir là une évolution de ce type annonçant quelque chose au niveau de l'UE ? De la même façon - et à la surprise générale -, aux Pays-Bas, les socialistes (travaillistes) ont nettement battu dans leur pays les populistes eurosceptiques lors des dernières élections européennes. Avons-nous là des signaux pour un nouvel élan en faveur du socialisme démocratique ? Dans ce cas, ils seraient sans doute avant tout fondés sur la crainte des électeurs modérés du centre-droit et du centre-gauche d'assister à une montée encore plus forte du populisme nationalisme, qu'il faudrait prioritairement endiguer - un fait politique qui s'est d'ailleurs produit lors des récentes élections européennes. Cela dit, attention, car endiguer ne veut aucunement signifier qu'il n'y a pas eu de poussée populiste nationaliste, mais qu'elle fut simplement (fait certes très important) limitée par rapport à ce qui était prévu...

 

   Certains, au sein de la gauche radicale, pourraient dire qu'une autre voie serait envisageable, hors d'une rénovation de la sociale-démocratie. Ainsi, il y a déjà des années que Jean-Luc Mélenchon lança, pour son Parti De Gauche (faisant alors partie du Front De Gauche), puis dans le cadre de La France Insoumise, le slogan de "la révolution par les urnes". Mais, de quelle "révolution" (sur le plan du contenu) veut-il parler ? De plus, une révolution sociale apparaîtrait actuellement comme impossible, sous peine de risquer une rapide banqueroute, car les technologies contemporaines seraient utilisées par les milieux financiers pour asphyxier immédiatement l'économie d'un pays qui se placerait sur cette voie (et cela aurait lieu en très peu de temps). On irait inévitablement vers une fuite en avant, une fermeture progressive des frontières, au nom du "seul pays", mais sans "socialisme", ce qui ne manquerait pas de provoquer des rapprochements, au moins à la base, entre des mélenchonistes et des segments populaires votant anciennement surtout communiste et qui sont passés depuis longtemps au vote en faveur de l'extrême droite. Il suffirait qu'une alliance "anti-système" et "anti-élites" soit passée entre le RN et LFI (ou une fraction de ce mouvement - ayant dès lors éclaté) pour que la France se trouve dans une situation assez comparable à celle de l'Italie (coalition gouvernementale entre la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles). On a déjà bien perçu des prémices (?) d'une telle jonction d'apparence contre-nature dans le cadre de la mouvance des Gilets jaunes... Hors du cas mélenchoniste, le problème qui ne manquerait pas de se poser aux partisans de la gauche radicale en Europe - s'ils voulaient mener véritablement leur politique - consisterait à se trouver des alliés...

 

   Reste à s'interroger au niveau de ce que représente et de ce que pourrait tenter de faire le social-libéralisme. D'abord, il faut insister sur le fait que celui-ci se fixe comme objectif politique - comme en France autour d'Emmanuel Macron - de coaliser l'ensemble des forces centristes et les adeptes d'un socialisme du possible (un peu comme ce que prônaient en France les socialistes dits "possibilistes" à la fin du XIXe siècle, avant l'unification du PSU SFIO en 1905). Mais, tout d'abord, qu'est-ce que le "social-libéralisme" ? En tant que modération du socialisme, le social-libéralisme consiste à placer en première position la lutte contre les déficits publics et une politique de relance de l'économie par l'offre - donc par la production -, puis en seconde place, une fois les caisses de l'Etat rééquilibrées, la prise de mesures sociales. Les socialismes (sociale-démocratie ou socialisme radical), quant à eux, développent traditionnellement des politiques de relance de la consommation par l'augmentation du pouvoir d'achat. L'inspirateur de base des politiques de type socialiste ou socialisante fut l'économiste John Maynard Meynes, qui était pourtant un libéral (2). Le social-libéralisme apparaît donc comme une politique intermédiaire entre la sociale-démocratie et le libéralisme économique classique, une sorte de politique centrale en somme. Prenons l'exemple de la France depuis 1983... La politique sociale-libérale fut commencée sous François Mitterrand à partir de la "rigueur" de 1983. Puis, elle continua, avec quelques inflexions sociales, à l'époque du gouvernement Jospin (cohabitation avec Jacques Chirac), dans le cadre de la "gauche plurielle" (socialistes, communistes, radicaux de gauche, et écologistes). Sous François Hollande, elle fut accentuée, et de nos jours elle continue avec plus de force encore en ces débuts du quinquennat d'Emmanuel Macron et du gouvernement d'Edouard Philippe. J'ajoute que cette politique sociale-libérale fut celle menée par le travailliste britannique Tony Blair et le Démocrate américain Bill Clinton (3)...

 

   Voilà la grande question - double - qui se trouve posée. Le socialisme a-t-il fini de remplir sa mission historique (mieux répartir les richesses entre les catégories sociales et augmenter les droits des travailleurs dans les entreprises), et faut-il qu'il fasse sa mutation en un "progressisme" à coloration plus ou moins sociale ? Ou bien alors, si l'Etat providence était très gravement menacé par les droites dures et l'extrême droite, les socialismes pourraient-ils reprendre les bases de leur combat traditionnel, qui fut, parallèlement à la défense de la démocratie, celui de l'établissement puis d'une autre défense (plus difficile à tenir) : celle du "Welfare State" ? C'est un peu par exemple pour cette raison que l'union des gauches "bancale" demeure stable au Portugal. Soit, mutation, soit retrouver des forces en ayant comme rôle de résister aux attaques des populistes contre nos systèmes de protection sociale et de respect des droits de l'homme, dont ceux des immigrés et ses nouveaux migrants. Dans ce cadre général, certains pensent - à tort ou à raison - que la France, avec l'expérience centrale menée par Emmanuel Macron depuis 2017, et à condition qu'il ne sacrifie pas sa "jambe gauche", pourrait devenir un modèle dans des pays où le socialisme semble être désormais devenu impossible, pour les raisons qui ont été dites au niveau des causes des échecs des socialismes (4). Cela étant dit, il faut insister sur le fait que, grâce aux socialismes, les populations les plus défavorisées ont pu profiter - en deux générations - d'une augmentation considérable de leur niveau de vie, de leurs droits sociaux et syndicaux, etc...

 

   En revenant sur les résultats des élections européennes, et pour actualiser au maximum mon article, il me faut dire que l'on a pu constater un fait important et très positif : dans la plupart des pays de l'Europe du nord et de l'ouest (mais pas à l'est), une importante poussée écologiste s'est produite. D'évidence, une "sociale-écologie" (synthèse entre les acquis historique du socialisme et les apports de l'écologie politique de gauche) pourrait fournir une partie des bases pour un nouveau logiciel politique à l'ensemble des gauches. Il y a longtemps qu'en Allemagne "Die Grünen" (ou "les verts") ont appris à gouverner, le plus souvent aux côtés du SPD (ou sociale-démocratie), mais aussi avec la CDU (ou démocratie-chrétienne). C'est qu'en plus les länder (ou provinces) ont permis aux écologistes, et depuis des décennies, de faire partie de coalitions de différents types. En France, cela semble plus difficile. Pourquoi... ? D'abord parce que, chez EELV (ou Europe Ecologie Les Verts), on coupe facilement les têtes des "chefs". Cela se produira-t-il par rapport à Yannick Jadot, qui a obtenu - d'ailleurs comme d'habitude pour les écologistes aux européennes - un bon score au niveau des suffrages exprimés (plus de 13%). Ensuite, il y a le fait que Jadot ne veut absolument pas qu'on le considère comme étant "de gauche", mais "ni de droite, ni de gauche"... Enfin, il faut ajouter que, même si le leader d'EELV changeait de position dans ce genre de propos, beaucoup de questions se poseraient encore quant à sa volonté d'accepter facilement des négociations et des compromis. Or, sans des alliances politiques, il faut bien que celui que L'Obs a appelé il y a peu - en couverture - "Le Géant Vert" (pas si géant que ça, en réalité, si l'on compare le score de sa liste avec celui de celle qu'avait dirigée Daniel Cohn-Bendit) se dise qu'il n'aura absolument aucune chance de devenir chef de l'Etat, alors qu'à l'entendre déjà...

 

 

(1)- La COP21 est la 21e Conférence des parties (COP) à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992, réunissant 195 États et l’Union Européenne, après celle de Varsovie (COP19) et Lima (COP20). Elle s’est tenue du 30 novembre au 11 décembre 2015 à Paris-Le Bourget (93), sous présidence française

 

(2)- John Maynard Keynes, né le 5 juin 1883 à Cambridge, et mort le 21 avril 1946 dans sa ferme de Tilton à Firle, était un économiste, haut fonctionnaire et essayiste britannique. Sa notoriété fut mondiale. Il fonda la macroéconomie keynésienne, dont s'inspirèrent beaucoup les gauches - notamment européennes -, bien qu'il appartenait au courant libéral 

 

(3)- Le leader du Labour Party (ou Parti Travailliste), puis Premier Ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, et le président du Parti Démocrate américain Bill Clinton, appelèrent les politiques sociales-libérales "la troisième voie" à la fin des années 1990 et au début de la décennie 2000

 

(4)- Cette notion de "progressisme" est beaucoup utilisée par Emmanuel Macron depuis la campagne des élections présidentielles de 2017, avec d'abord son "ni droite / ni gauche", puis le "et droite / et gauche"

 

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

14 juin 2019

 



16/06/2019
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