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LES CONCEPTIONS DE LA DÉMOCRATIE - 1

 

 

Catégorie : Histoire et Actualité

 

 

 

 

 

 

 

   Dans cet article croisant l'Histoire et l'Actualité, et qui se divisera en deux textes, je vais tenter de rappeler quelles furent les grandes conceptions de la démocratie qui existèrent, ou tentèrent d'exister, dans l'histoire de l'humanité, depuis l'Antiquité, tout en essayant d'expliciter - essentiellement en conclusion (à la fin de la seconde partie) - les avantages et les inconvénients de chacune d'entre elles. Il me faudra d'abord poser, dès l'origine, le problème de savoir si l'on pouvait ou non, parler de démocratie - et si oui, de quel type ? - pour Athènes et quelques autres cités grecques de l'Antiquité, à l'époque dite "classique". Viendront ensuite les cas des républiques marchandes et maritimes italiennes qui s'établirent du Moyen Âge jusqu'au XVIIIe siècle. Puis, ce seront les exemples de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis d'Amérique, et de la France, aux XVIIe-XVIIIe siècles. A ce niveau, la France de la Révolution (les années 1789 à 1799) nous posera un problème dans la mesure où au moins deux phases politiques très différentes s'y succédèrent. Puis, pour les XIXe-XXe siècles, nous aurons à voir comment évolua la nature des démocraties occidentales et à analyser de près le cas de la Russie - devenant assez rapidement l'URSS - après les mois de février, puis d'octobre 1917. Nous toucherons enfin à l'Actualité, essentiellement française, avec la mouvance des Gilets jaunes, considérée par certains comme une nouvelle tentative de "révolution", et par d'autres simplement en tant que révolte individualiste aux caractères avant tout de type "2.0", avec le rôle qu'y jouèrent, dès ses origines, les réseaux sociaux. Cette première partie, commencée dès maintenant, s'arrêtera donc, comme annoncé, à la fin de la Révolution française...

 

   Au total, pour notre espèce, "homo politicus", trois grandes catégories de démocraties ont existé dans le monde occidental et au-delà depuis les débuts de l'Histoire : la démocratie représentative, la démocratie directe, et la démocratie participative - ce dernier terme étant apparu le plus tardivement et donc le moins développé et utilisé jusqu'à ce jour, malgré des expériences somme toute assez récentes. En suivant la chronologie, le cas fondateur d'Athènes, à l'époque de Périclès (Ve siècle av. J.-C.), ou de Démosthène (IVe siècle av. J.-C.) - malgré la montée en puissance de la Macédoine à l'époque de celui-là -, apparaît comme très intéressant. En effet, tout pourrait pousser à croire que la cité athénienne pratiquait quasiment la démocratie directe. Or, ce fut bien plus complexe que cela. Bien sûr, en théorie, les 40.000 citoyens d'Athènes au Ve siècle participaient fortement à la vie politique, aussi bien au niveau de l'Ecclesia (l'assemblée du peuple) que pour la roulement au niveau des responsabilités judiciaires ou autres par la voie du tirage au sort. Mais, en premier lieu, l'Attique (la cité d'Athènes et les territoires alentours qui en dépendaient) comptait alors plus de 300.000 habitants, dont l'essentiel étaient des esclaves (n'ayant aucun droit), et ceci sans oublier les métèques (ou étrangers), disposant de nettement moins de droits que les citoyens ; quant aux femmes de ces derniers, n'en parlons pas, sauf sur le plan de l'influence qu'elles avaient sur leurs époux... Puis, en second lieu, sur la colline de la Pnyx, où se réunissaient les citoyens pour écouter et délibérer, il n'y avait jamais plus de la moitié des citoyens qui venaient échanger en politique pour ostraciser (voter la démission et l'exil) des stratèges ou agir dans d'autres domaines liés au fonctionnement de la cité. J'ajoute que la démocratie représentative existait bel et bien, étant donné avant tout l'existence des stratèges et de beaucoup d'autres magistratures. Athènes était donc en réalité un mélange entre différents types de conceptions de la démocratie, et l'existence de l'esclavage constituait une limite de type éminemment aristocratique pour la vie politique de la ville. La situation était encore pire à Sparte, où les hoplites (soldats-citoyens), peu nombreux, et théoriquement "Homoioi" (ou égaux), le furent de moins en moins, et où les esclaves du type serfs attachés à la terre (les Hilotes, dont les jeunes spartiates pouvaient tuer un ou plusieurs lors de leur initiation), étaient bien plus mal traités qu'à Athènes. Autrement dit, le caractère aristocratique de la cité lacédémonienne (Sparte et le territoire qu'elle dominait) était encore plus marqué que celui existant à Athènes...

 

   Si l'on saute les siècles pour passer dans la période allant du Moyen Âge jusqu'aux XVIIe-XVIIIe siècles, il faut maintenant évoquer en premier lieu les républiques marchandes maritimes italiennes telles que celles d'Amalfi, Venise, Gênes, Pise, Florence, etc. Si l'on regarde les choses au premier degré, à partir du cas de Venise, on pourrait parler d'une sorte de démocratie représentative. En fait, le nombre de familles qui dirigeaient la cité au niveau du Grand Conseil fut relativement fermé, et de plus le doge n'était pas dépourvu de pouvoirs ; et puis, il y avait le fameux Conseil des Dix (qui constituait une sorte de police politique), ainsi que les bouches ouvertes dans certaines zones de la "Sérénissime" et qui étaient destinées aux lettres de dénonciations anonymes dans "l'intérêt de l'Etat"... ! On peut vraiment dire qu'il y avait alors encore beaucoup de progrès à faire au niveau de ce que l'on appellera plus tard les Etats de droit... Mais, poursuivons notre voyage au sein des démocraties en disant quelques mots à propos des cas de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis d'Amérique, et de la France, aux XVIIe-XVIIIe siècles, au moment où se produisirent les premières grandes remises en cause du système politique découlant de l'époque du XVIe siècle (la Renaissance et ses suites), c'est-à-dire de la "monarchie absolue de droit divin", un système dans lequel le roi n'avait de comptes à rendre personne, sauf à Dieu, puisque le monarque était considéré comme "Le Lieutenant de Dieu sur la Terre" (une formule utilisée notamment sous Louis XIV) ; en somme, l'alliance entre "le trône et l'autel"...

 

   Cette alliance quasi-consubstantielle, auparavant totale, fut donc contestée par la montée des aspirations à la liberté de la bourgeoisie et de la partie libérale politiquement de la noblesse. Ces forces sociales surent incarner, dans leurs paroles, et souvent leurs actes (exemple de La Fayette), les valeurs universelles issues de certains grands philosophes, avec un Thomas More (en Grande-Bretagne), dès le XVIe siècle, suivi par les représentants de la Philosophie des Lumières (en France), comme Voltaire, Montesquieu, Diderot, d'Alembert, Rousseau... Il n'est pas du tout étonnant que le premier pays à "bouger" pour tenter de s'émanciper un peu par rapport à la monarchie autoritaire fut la Grande-Bretagne. En effet, dès juin 1215, les rois d'Angleterre avait dû accepter de concéder des avancées pré-démocratiques à leurs sujets avec la "Magna Carta" (ou "Grande Charte"). On ne pouvait bien entendu pas parler déjà de "droits de l'homme" obtenus par des "citoyens", mais d'une charte arrachée par les barons anglais à Jean sans Terre. Il fallut attendre le XVIIe siècle pour que se produise une véritable explosion révolutionnaire (de type politico-religieuse) en Angleterre. Ce fut la Révolution dirigée par Oliver Cromwell et une partie du Parlement (une représentation d'une partie du peuple britannique, puisqu'il y eut guerre civile entre les partisans du Parlement et ceux du Roi), dont un nombre important de protestants radicaux (appelés "puritains"). Cette révolution, qui précéda donc la nôtre, n'hésita pas à aller jusqu'à l'arrestation - suivie de l'exécution - du roi Charles Ier Stuart en 1649. Et pour la démocratie directe ? Il y eut des "Nivellers" et des "Diggers" égalitaristes, liés généralement à des sectes protestantes puritaines ; ils développèrent des aspirations sociales mêlées (forcément) de religiosité (Charles Ier Stuart restant en partie influencé par la catholicisme, malgré la réforme anglicane de l'époque du roi Henri VIII). Mais, cette révolution finit par mal se terminer. En effet, la démocratie représentative du Parlement avait abouti à une telle division (avec les oppositions entre les ancêtres des "partis" politiques à venir) qu'Oliver Cromwell, d'esprit très militaire, finit par installer une dictature avec le soutien de son armée fanatisée par des conceptions plus religieuses que sociales...

 

   Je n'en n'ai pas fini avec les exemples anglais, avant d'en arriver à l'américain, puis au français... Pour l'Angleterre, c'est après le départ de la dynastie des Stuarts (Jacques II), lors de la "Glorieuse Révolution" de 1688-1689 (perçue, en partie à tort, comme pacifique - d'où son nom), et l'arrivée de celle d'Orange (avec le roi Guillaume III d'Orange-Nassau, qui provenait de Hollande), que ce pays évolua progressivement vers une monarchie représentative, avec une constitution et un parlement disposant de droits et de pouvoirs tangibles, et bientôt de vrais partis politiques. Et il est assez étonnant - pour nous français - de voir à quel point la Grande-Bretagne resta désormais stable politiquement et décolla en révolution industrielle par la suite, évidemment jusqu'au Brexit non compris... Prenons maintenant les exemples américain et français, avec ce que l'historien français Jacques Godechot avait appelé "Les révolutions atlantiques"... Aux Etats-Unis, le mouvement révolutionnaire aboutit, avec la Constitution de 1787 (à laquelle s'ajoutèrent ultérieurement des amendements numérotés), à la mise en place d'une démocratie représentative, à la suite de la "Guerre d'Indépendance" contre la colonisation britannique (de 1775 à 1783). Le cadre global se fixa dans une fédération d'Etats ayant des législations en partie différentes dans certaines domaines (comme aujourd'hui encore, par exemple pour la peine de mort), mais avec un pouvoir central basé à Washington (pensons au Sénat et à la Chambre des représentants). Pour les tentatives de mises en place de structures liées plus ou moins au concept de démocratie directe - en dehors des villes-champignons du Far West dans la seconde moitié du XIXe siècle avant l'arrivée des shérifs et des juges -, il y eut deux exceptions, de type religieux, avec les Amish (notamment vers le nord-est des Etats-Unis, et jusqu'au Canada) et les Mormons (vers Salt Lake City). Mais, il s'agissait (il s'agit encore de nos jours) de phénomènes vraiment très particuliers...

 

   Nous voici arrivés au dernier point destiné à illustrer cette première partie de mon article : le cas français, absolument fondamental, puisqu'il y eut, entre 1789 et 1794, à la fois démocratie représentative (sous deux formes successives et différentes), et démocratie directe expérimentale. Pour la démocratie représentative, la première à avoir été mise en place fut davantage évolutionnaire que révolutionnaire puisqu'on eut affaire à une tentative, qui fonctionna pendant une assez courte durée, et malgré la résistance de l'aristocratie au sein de la Cour (celles-ci influençant Louis XVI dans un sens de plus en plus hostile à la notion d'évolution). "Le Roi et la Nation", unissant dans le drapeau tricolore la couleur blanche de la monarchie et les couleurs bleue plus rouge de la ville de Paris, cela aurait pu stabiliser la France dans le cadre d'une monarchie parlementaire à l'anglaise. Mais, ce ne fut pas le cas, pour plusieurs raisons, dont celle suscitée. Après la fuite du roi à Varennes (avec sa famille), une radicalisation se produisit forcément au sein d'une partie des partisans des "idées nouvelles" issues des Lumières. La Ière République fut proclamée en septembre 1792, car il fallait trouver un autre mode de fonctionnement du pouvoir politique, le roi étant désormais hors-jeu (procès, puis exécution en janvier 1793). La Législative avait vécu, et la France subissait alors la guerre à ses frontières. Dans ces conditions, une autre forme de démocratie représentative se structura avec la Convention montagnarde (comprenant la gauche radicale de l'époque), entre juin 1793 et juillet 1794, dans l'ancien calendrier, non-révolutionnaire...

 

   La Convention montagnarde était certes une dictature, autour de Robespierre, Saint Just, Danton, Desmoulins, etc., mais une dictature collective, avec comme preuve le fait que la majorité de cette Convention put faire voter l'exécution de Robespierre et de ses amis, après que ceux-ci aient fait eux-mêmes guillotiner les montagnards "Indulgents" (Danton et Desmoulins) qui voulaient atténuer - et faire probablement disparaître progressivement - la Terreur. C'est dans ce cadre qu'il faut à présent faire allusion aux tentatives de démocratie directe qui eurent lieu pendant l'époque de la Convention - avant tout montagnarde. A Paris, des sections de "sans-culottes", d'origine populaire, s'étaient organisées, quadrillant la cité dans ses quartiers. Pendant l'année 1793-début 1794, ce mouvement populaire soutint le gouvernement révolutionnaire avec le Comité de salut public. Mais, on sait que ses sympathies allaient surtout vers les plus extrémistes parmi les révolutionnaires montagnards : d'abord Marat, puis Hébert, que les Robespierristes éliminèrent (avec l'aide des futurs "Indulgents")... Et, de ce fait, le jour où Robespierre et ses amis furent arrêtés, les sans-culottes, affaiblis politiquement ou découragés (pour ceux qui restaient), laissèrent faire le coup d'état du "9 thermidor", que l'on peut considérer comme le début du déclin du processus révolutionnaire, puis la porte ouverte aux ambitions de Bonaparte, futur Empereur Napoléon Ier... Un dernier mot concernant les sans-culottes, et en rapport avec le concept de démocratie directe. Un nombre conséquent d'entre eux étaient nourris par les "idées nouvelles" et se projetaient donc vers l'avenir (pour des mesures sociales, des prix abordables pour les céréales, l'instruction, etc.), mais, en rapport avec des vagues de peurs ou de règlements de comptes politiques, voire parfois personnels, ils organisèrent également par exemple les terrifiants "massacres de septembre" (en septembre 1792), à Paris et aussi, quoique de manière moins forte, dans d'autres régions de la France...

 

   Il me faudra revenir avec insistance sur ce point - lié à la théorie dite des "avant-gardes" révolutionnaires (surtout lorsqu'elles sont autoproclamées) - dans la seconde partie de mon article, entre autre (évidemment) au moment de la Russie d'octobre 1917 et de ce qui s'ensuivit par rapport au processus démocratique général dans ce pays puis au sein d'autres nations, et qui aboutit au concept, à analyser, de "démocratie populaire", par comparaison, opposition, avec le système classique que les marxistes-léninistes appelèrent "démocratie bourgeoise"...

 

 

 

Eléments bibliographiques :

 

 

"La démocratie athénienne à l'époque de Démosthène" - Mogens Herman Hansen, Editions Tallandier, 2009, 493 pages

 

"Histoire de Venise" - Alvise Zorzi, Tempus Perrin, 2015, 626 pages

 

"50 années qui ébranlèrent l'Angleterre : les deux révolutions du XVIIe siècle" - Michel Duchein, Fayard, 2010, 500 pages

 

"Les révolutions (1770-1799)" - Jacques Godechot, PUF, "Nouvelle Clio", réédition avec mise à jour en 1986, 448 pages

 

"Les sans-culottes" - Albert Soboul, Seuil, "Point Histoire", réédition de la partie d'un ancien ouvrage dans une autre collection, 2004, 256 pages

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

10 mai 2019

 



11/05/2019
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