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ON PEUT TUER AVEC DES MOTS - 1

 

 

Catégorie : Histoire et Actualité

 

 

 

 

 

 

 

Assassinat de Jaurès par Raoul Villain  le 31 juillet 1914

 

 

 

   J'ai déjà écrit sur ce blog que je ne parlerai plus des Gilets Jaunes, ni de l'Actualité française seule, au moins tant que la distance permettant une analyse sérieuse à l'historien que j'essaye d'être ne sera pas passée ; je pense d'ailleurs qu'il faudra assez longtemps pour que je puisse tenter (comme d'autres) d'écrire un article sur ce que j'ai pu nommer encore sur ce blog le "kaléidoscope" des Gilets Jaunes... Et pourtant, comment ne pas dire le minimum, qui a entraîné, pour moi, la nécessité impérative de rédiger ce texte (qui sera en deux parties) croisant l'Histoire et l'Actualité ? Je ne citerai évidemment personne pour l'Actualité française que nous vivons ces jours-ci, mais vous savez tous que des appels au meurtre - et je pèse mes mots - ont été lancés contre l'actuel chef de l'Etat ainsi que d'autres dirigeants de notre pays ! Je ne vais donc que tenter de montrer le fait que, lorsque certains mots furent prononcés, dans l'histoire contemporaine (depuis les dernières décennies du XIXe siècle, période avant laquelle je ne prendrai pas d'exemples), des semi-déséquilibrés passèrent à l'acte d'assassiner, parce qu'ils avaient écouté des gens "très bien" dire tel ou tel mot extrêmement grave... Mon propos se déroulera bien sûr dans l'ordre chronologique. Au fait, pour mettre à l'aise tous les lecteurs à venir de ce texte, il faut que je leur dise que, s'il y avait aujourd'hui des élections présidentielles, je ne voterais probablement pas pour Emmanuel Macron - en tout cas pour ce qui concernerait le premier tour ; voilà pour le "déminage"... Dans cette première partie, j'évoquerai les cas du président américain Abraham Lincoln, des socialistes français Jean Jaurès, Roger Salengro, Marx Dormoy, et Pierre Bérégovoy, puis des tueurs indirects par les mots qu'ils employèrent que furent Louis-Ferdinand Céline et Robert Brasillach...

 

   Prenons donc tout d'abord le cas du président des Etats-Unis Abraham Lincoln (16e président américain, de mars 1861 à avril 1865). On sait qu'il représenta le camp des Unionistes (c'est-à-dire des Nordistes face aux Sudistes ou Confédérés) pendant la Guerre de Sécession, un conflit que les Américains appelèrent "The Civil War", et qui coûta à cette nation en formation plus de 600.000 morts, soit davantage que pendant la Guerre du Vietnam et même la Seconde Guerre mondiale... Une terrible haine se développa contre Lincoln parce qu'il représentait un symbole très fort : celui de l'homme qui fut l'artisan de l'abolition de l'esclavage dans son pays. Voilà pourquoi il fut assassiné (d'ailleurs à la stupeur quasi-générale) le 15 avril 1865, à l'âge de 56 ans. Ce fut au cours d’une sortie dans un théâtre à Washington qu'eut lieu cet assassinat par un sympathisant des Sudistes. L'assassin de Lincoln, un nommé John Wilkes Booth, s'introduisit derrière lui en tirant une balle à bout portant derrière la tête du président, précisément au niveau de la nuque. Les médecins accoururent et virent tout de suite que la balle avait atteint le cerveau, et que, dans ces conditions, Lincoln était condamné. Ils le transportèrent dans une maison en face du théâtre où il passa la nuit sans reprendre connaissance. Lincoln mourut le lendemain matin, à 7 h 22. L'assassin Booth cria en s'enfuyant : "Sic semper tyrannis !" (soit, en latin : "Ainsi en est-il toujours des tyrans !"). Il est évident que ce Booth avait été intoxiqué par les propos haineux que d'anciens Sudistes continuaient de prononcer contre Lincoln, alors que la Guerre de Sécession était terminée et que le président américain était en train de mettre en place un projet de reconstruction et de développement économique des Etats du Sud...

 

   Passons à la façon dont quatre dirigeants socialistes français sont morts à cause des mots : Jean Jaurès, Roger Salengro, Marx Dormoy, et Pierre Beregovoy. Jean Jaurès fut assassiné à Paris le 31 juillet 1914 (à la veille de la Guerre de 14-18), au Café du Croissant, par un étudiant nationaliste nommé Raoul Villain. Je vais essayer d'être précis sur les causes de cet assassinat. Le pacifisme de Jaurès - qui faisait tout pour empêcher une guerre entre le prolétariat français et allemand - était sans arrêt dénoncé à la Chambre des députés par la droite et l'extrême droite nationaliste criant très souvent à son encontre : "Herr Jaurès !" ("Herr" signifiant "Monsieur"... en allemand !), ce qui voulait signifier ainsi que le leader socialiste aurait été un traître à sa patrie ! C'est donc intoxiqué par ces cris de haine que Raoul Villain assassina Jaurès. J'ajoute que, lors du procès qui eut lieu après la victoire française contre l'Allemagne, Villain fut acquitté et la famille de Jaurès condamnée à payer les frais de justice... ! Roger Salengro était ministre de l'intérieur dans le gouvernement de Léon Blum sous le Front Populaire (qui dura de 1936 à 1938). Il demeura à cette fonction de juin à novembre 1936. Il mit fin à ses jours en novembre 1936 après avoir été la cible d'une ignoble campagne de presse organisée par "L'Action Française" (de Charles Maurras), de "Gringoire", et de "La Libre parole", soit la droite et l'extrême droite nationaliste (encore !), qui l'accusait, bien évidemment à tort, d'avoir déserté pendant la Première Guerre mondiale. C'est usé, à bout, que cet homme de bien décida de se suicider... Marx Dormoy - dont vous connaissez peut-être moins le cas - était le maire socialiste de Montluçon (dans l'Allier), et devint sous-secrétaire d'état à la présidence du conseil auprès de Léon Blum (toujours pendant le Front Populaire), puis ministre de l'intérieur de novembre 1936 à avril 1938 après ce que certains ont pu appeler "l'assassinat moral de Roger Salengro". Il déjoua un complot d'extrême droite organisé par la "Cagoule", ou CSAR (Comité Secret d'Action Révolutionnaire), ce qui provoqua (encore !) contre lui le déchaînement de la haine de la part des nationalistes de droite et surtout d'extrême droite... A la Chambre des députés, Jacques Doriot, ancien dirigeant du PCF (Parti Communiste Français), et passé au fascisme (il avait crée le PPF ou Parti Populaire Français), l'invectiva, en vociférant à son égard : "On aura ta peau !"... Et c'est exactement ce qui se passa après la mise en place de la "Révolution Nationale" du régime de Vichy de Pétain et Laval pendant l'Occupation ; les autorités vichystes l'emprisonnèrent, puis le mirent en résidence surveillée à Montélimar, et des hommes de main (d'anciens "Cagoulards" ?) placèrent une bombe sous son lit, ce qui provoqua sa mort terrifiante le 26 juillet 1941 ! Pierre Beregovoy, qui avait connu une forte promotion sociale (il avait commencé comme tourneur), devint un des principaux dirigeants du nouveau PS (Parti Socialiste) issu du Congrès d'Epinay (créé en 1971). Maire de Nevers, il accéda à la fonction de secrétaire général de la Présidence de la République au début du premier septennat de François Mitterrand, puis de ministre (dans plusieurs domaines), et fut enfin Premier Ministre (du mois d'avril 1992 à celui de mars 1993). A la suite des mots qui furent employés contre lui, en rapport avec ses origines modestes (moqueries à propos de ses chaussettes, l'expression "l'enflure de Bercy", etc.), qui commencèrent à le toucher, il eut à faire face à des accusations de corruption (fortement sur-interprétées) de de la part de la presse (ainsi pour Le Canard enchaîné). C'est alors qu'il prit sur lui toute la responsabilité de la défaite en rase campagne des socialistes (et de l'ensemble de la gauche) lors des élections législatives de mars 1993, le PS n'ayant en effet obtenu que 41 députés face à des droites triomphantes (353 députés). Pierre Beregovoy eut une sorte de démarche de type "christique" en se sacrifiant, car se sentant coupable de cette cuisante défaite. Il se suicida près de Nevers sur la berge du canal de la Jonction, comme le confirma l'enquête de police...

 

   J'ai déjà parlé du cas de Jacques Doriot, qui avait créé en France un authentique parti de type nazi, ou pro-hitlérien, et qui joua un rôle très important dès les débuts de l'Occupation, par son antisémitisme jusqu'auboutiste, et son anti-bolchévisme ("Les communistes, parti de l'étranger !", disait-t-il). Doriot fut le principal responsable (et peut-être même le grand coupable) de l'assassinat du socialiste Marx Dormoy. Comprenons-bien qu'il s'agissait là de mots tueurs d'une manière directe, des appels au meurtre en somme, exactement comme aujourd'hui de la part d'un certain responsable politique français (suivez mon regard)... Avec les cas de Louis-Ferdinand Céline et de Robert Brasillach, c'est différent, puisqu'il fut question pour ce qui les concernait d'écrits qui tuèrent indirectement avec des mots. Céline, à côté de ses talents littéraires incontestables ("Voyage au bout de la nuit" est peut-être le plus grand roman du XXe siècle ?) - mais là n'est pas la question -, lança sa plume sur des écrits antisémites (des pamphlets) d'une violence absolument inouïe ! Pour lui, le monde se divisait en deux catégories : les Aryens (comme sa propre personne...) et les Juifs ; et la lutte pour la domination du monde se faisait entre ces deux "races"... L'écrivain et poète Robert Brasillanch était un ultra-nationaliste pro-nazi, évidemment favorable à la Collaboration à outrance avec l'Allemagne hitlérienne. On sait qu'il écrivit des articles d'un antisémitisme plus que virulent, dans le journal "Je suis partout", qui rassemblait à l'origine des plumes souvent issues ou proches de "L'Action française" - de triste mémoire ; ce "Je suis partout" devint, à partir de 1941, le principal journal collaborationniste et antisémite français, sous l'Occupation nazie de la France, et je précise que son dernier numéro fut daté du 16 août 1944, ses rédacteurs ayant été ensuite jugés et condamnés. Pour le cas précis de Robert Brasillach, ses engagements pro-nazi, collaborationnistes, et son antisémitisme extrémiste, tout cela provoqua sa condamnation à mort lors de l'Epuration qui eut lieu à la Libération dans le cadre des tribunaux mis en place par le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française), sous l'autorité du général de Gaulle...

 

Il y aura une seconde partie, dans laquelle je donnerai les exemples du Mahatma Gandhi, d'Indhira Gandhi, des Kennedy (John Fitzgerald et Robert), de Martin Luther King et de Malcolm X, plus ceux d'Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat...

 

 

 

 

Eléments de base bibliographiques :

 

 

"Lincoln : l'homme qui sauva les Etats-Unis" - Bernard Vincent, Archipoche, 2015, 528 pages

 

"Le Grand Jaurès" - Max Gallo, Robert Laffont, 1994, 636 pages

 

"Roger Salengro : chronique d'une calomnie" - Christian Blanckaert, Jacob Duvernet, 2004, 186 pages

 

"Marx Dormoy : Biographie" - André Touret, Créer, 1998, 256 pages

 

Je n'ai pas indiqué de références bibliographiques pour Pierre Bérégovoy (en raison des ouvrages fantaisistes qui furent écrits à propos de son suicide), ni pour Louis-Ferdinand Céline et Robert Brasillach (car ils ne furent pas tués par des mots, mais au contraire tueurs indirects également par des mots).

 

 

 

Jean-Luc Lamouché

 

 

 

10 décembre 2018

 



10/12/2018
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