VERS UNE PSYCHANALYSE DU "JAUNISME"
Catégorie : Actualité générale
Le "jaunisme", un terme qui est utilisé par des observateurs pour désigner les actions des Gilets Jaunes, et qui n'est, idéologiquement, ni "rouge" (socialiste révolutionnaire ou anarchiste), ni "noir" (fasciste), mais soit rien, soit kaléidoscopique - comme j'ai pu l'écrire dans un autre article. En fait, les Gilets Jaunes sont un mouvement populiste effectivement de toutes les couleurs et qui prétendit, à son départ, n'en n'avoir aucune, en dehors de ce "jaune" (qui fut d'ailleurs utilisé - autrement - à la fin du XIXe siècle pour monter des syndicats jaunes briseurs de grèves : celles des "rouges", avec le socialisme et la classe ouvrière en expansion, cette dernière étant forte de sa "conscience de classe" (dont le "jaunisme" est dépourvu étant donné son individualisme). Mais, lors de nos échanges au sein du groupe facebook "Contre les populismes de droite et de gauche", plutôt que cette histoire de couleurs, il y a quelque chose d'autre qui nous a semblé beaucoup plus intéressant à aborder : le fait que les Gilets Jaunes résument bien ce qu'est l'être humain, avec sa face positive et celle négative... Je précise, au nom du collectif qui a travaillé sur ce sujet à partir de mon post, que le résultat de notre travail n'est ici qu'une tentative d'approche d'une perception d'un phénomène de groupe (ou de foule), alors que les psys traitent des comportements humains au cas par cas, individuellement. Mais, tentons tout de même l'expérience consistant à relever des éléments d'analyse dans les attitudes de ces foules qui occupent encore (mais moins) les ronds-points, et manifestent chaque samedi depuis des semaines et des semaines.
Sur le plan de la sociabilité, on a souvent assisté à la rencontre entre des personnes qui ne se connaissaient pas (et donc à une certaine fraternité, dite "des ronds-points"), avec des soirées plus ou moins festives du genre "brochette" ou "merguez", un peu dans le genre "fête des voisins"... Il y avait, pour les premiers Gilets Jaunes, le besoin indiscutable de mettre quelque chose dans leur vie, de l'éclairer (la couleur jaune elle-même !), et le mouvement a comblé leurs attentes, comme une sorte de club de rencontres amicales pour sorties en commun et sur des projets d'apparences communes (je pense à OVS, ou On Va Sortir, sur l'Internet). Il convient de prendre conscience de ce que notre société ne comble pas les besoins grégaires, et pour cause. Ne sommes-nous pas de plus en plus isolés : familles éclatées, amitiés incertaines, rencontres impossibles, tout cela étant dû sans doute au règne de d'internet (que voici un oxymore fascinant !). Ce mouvement populiste devrait au moins nous inciter à comprendre ce qui se passe et pourquoi les pouvoirs publics ne peuvent plus (ne savent pas) trouver de réponses politiques adéquates face à des problèmes de ce type, et qui vont être sans doute de plus en plus ceux du XXIe siècle.
Sur la base des revendications de départ (portant sur les prix des carburants), les manifestations étaient globalement respectables et d'ailleurs dans l'ensemble plutôt pacifiques. Il y a eu des revendications indiscutablement justifiées, quoique pas forcément réalistes dans le contexte économique actuel. Cela dit, de ces demandes plutôt sensées émanaient un désir de consommer plus, et il n'y avait presque aucune revendication purement sociale en faveur des vrais démunis (les femmes seules, les laissés pour comptes ou exclus, etc.). On ne peut donc pas parler de l'existence d'un véritable sentiment de solidarité chez la majorité des "jaunistes". Nuançons aussi le caractère "bon enfant" des débuts. Dès les premiers blocages des ronds-points, il y eut une volonté marquée de forcer les automobilistes à adopter leurs revendications. Très souvent, ils obligeaient à arborer le gilet jaune, à klaxonner, à signer des pétitions de soutien, etc. Combien de Français ont été obligés de montrer ostensiblement leur adhésion sous peine d'être pour le moins bloqués, chahutés, et conspués... ! Certaines personnes, n'ayant pas de gilet jaune, ont même vu leurs voitures taguées et bombées de peinture... Dès l'origine, ceux qui organisaient les ronds-points et qui réclamaient haut et fort la liberté de s'exprimer entraient dans une démarche contradictoire : la revendiquant pour eux-mêmes, ils interdisaient de facto toute liberté de manifester que l'on puisse penser autrement. Des Français furent très souvent traités de "collabos" parce qu'ils ne manifestaient pas une adhésion franche à leurs actions... "Collabos"... étrange formule a-historique (dans le contexte), et forme de terrorisme intellectuel par rapport à ceux qui voulaient s'exprimer d'une manière différente, ou plus nuancée et faisant pourtant preuve d'une liberté de type voltairienne...
Il y eut très vite la montée en puissance de la violence, la foule déchaînée, celle qui lynche (dans l'esprit de ce que l'on pouvait voir dans les westerns de notre adolescence ou aujourd'hui encore dans les salles de cinéma, et mettant en scène les Etats-Unis à l'époque du "Far West"). Les symboles de la république furent touchés. C'est ainsi qu'au tout premier chef la figure même du chef de l'Etat fut violemment mise en cause, vilipendée, et même pendue et égorgée symboliquement... Par rapport à Emmanuel Macron, un président qui n'est pas pire qu'un autre avant lui, n'ayant rien de criminel à se reprocher, on comprend mal les attaques délirantes, pour ne pas dire terrifiantes, qu'il eut à subir. Il y avait là un mélange très curieux de syndrome de la "cocotte-minute" bouillant depuis trop longtemps (la succession des présidences antérieures), une sorte de révolte contre le "père" (trop jeune en plus), surtout le "complexe de Caïn" (rappelons-nous des appels au meurtre contre le président, notamment de la part de François Ruffin, important dirigeant de La France Insoumise mélenchoniste), etc... Chez certains Gilets Jaunes, on en arriva à constater des phénomènes de comportements à situer au stade de l'adolescence : Emmanuel Macron vu comme l'incarnation de l'ordre et de l'autorité (qu'on refuse, tout en développant parallèlement de la violence et de l'autoritarisme), plus la haine du grand frère, jeune, "beau", riche (banquier "chez Rotschild" - pourquoi insister tant sur ce nom pour certains sinon par antisémitisme indirect... ?), intelligent et cultivé, qui se permet en plus de présider (illégitimement, bien sûr) la République...
Dans les mécanismes de foule que l'on a pu voir rapidement fonctionner, c'est à ce niveau que Sigmund Freud et Carl Jung (surtout) nous permettent de mieux comprendre le mécanisme psychanalytique du "jaunisme", avec comme point de départ évident le sentiment de l’impunité. Tout cela s'appuie sur la "part d'ombre" (concept de Jung) qui serait présente potentiellement au sein de chacun d'entre nous, mais ici potentialisée par un phénomène de masse (c'est ce qui mit d'ailleurs historiquement en mouvement le fascisme et le nazisme avant la Guerre). Cette "part d'ombre" fit que les phénomènes de rejets et de haines ont fini par l'emporter, allant jusqu'à des niveaux rarement atteints dans notre pays. On a aujourd'hui des individus, les Gilets Jaunes, juxtaposition de revendications du "Je", qui ne sont d'accord sur quasiment rien, sauf leur volonté individuelle de domination, et voulant exprimer ce que l'on appelle chez les psychanalystes la "toute-puissance" (qui serait une sorte de fantasme d'omnipotence, de pouvoir sans limites et quasi-magique). La découverte d'une forme de pouvoir est en effet parfois un puissant détonateur pour la "part sombre" des individus. C'est un phénomène que l'on peut transposer à tout groupe (comme par exemple, pour certains jeunes des cités qui découvrent que le nombre et la violence leur donne du pouvoir, et en déduisent que les rapports avec les autres ne sont que des rapports de force). Nous sommes là au cœur d'une caractérisation du "jaunisme" comme mouvement populiste a-démocratique. Tout cela fut confirmé dès le début - notons-le - par le choix des modes d'action violents (bloquer, filtrer, atteindre l'économie), qui relèvent, ajoutons-le, d'une méconnaissance totale des mécanismes de l'action collective, notamment syndicale (ces syndicats que les Gilets Jaunes condamnèrent violemment par avance). Mais, "Le peuple a toujours raison", n'est-ce-pas (une autre version - faussement collective - de "Mussolini a sempre raggione")...
On trouve dans le "jaunisme" des troubles narcissiques du comportement, auxquels il faut ajouter la "toute-puissance" déjà citée. Il serait intéressant de se pencher sur les causes de ce type de perversion narcissique. Cette sorte d'individus que l'on a vu se déchaîner avec la majorité des Gilets Jaunes a certes existé de tous temps (certains observateurs ont pu parler de "jacqueries", comme sous l'Ancien Régime et au Moyen-Âge. Mais, ils étaient bien moins nombreux, et, privés des moyens d'information et de communication d'aujourd'hui, ils restaient isolés et n'avaient donc aucune possibilité d'être opérationnels ; en somme, ils n'apparaissaient pas comme dangereux pour la majorité de la population (ce qui n'a rien à voir avec le "Classes laborieuses et classes dangereuses" de Louis Chevalier, en raison d'une totale absence de "conscience de classe" dans ce mouvement : les "marxistes" de salon bobos parisiens du genre François Begaudeau iront se rhabiller). Leur besoin et leur espoir : être de plus en plus nombreux. Rien de tel, pour y parvenir, qu'un déploiement de violence, pour convaincre les plus faibles et obtenir leur collaboration. Les Gilets Jaunes ne sont pas partis des chaînes d'info en continu (même si celles-ci les ont abreuvés avec des infos superficielles non analysées en profondeur, puis les ont mis en scène), mais des réseaux sociaux. De ce point de vue, ce qu'avait dit Umberto Eco il n'y a pas si longtemps apparaît aujourd'hui presque comme prophétique... La caisse de résonance médiatique, à partir de l'annonce du lancement de la "giletsjaunisation" sur facebook, fut d'abord logarithmique, puis exponentielle. Nous savons que les échanges en temps réel réduisent celui de la réflexion. L'esprit critique est gravement menacé. Le point focal a migré vers la "réaction", au détriment de l'analyse, donc de la "pensée", vers la passion au lieu de la raison... D'où une "nécessaire" violence aux yeux de bon nombre des Gilets Jaunes, pour être adoubés par les grands appareils médiatiques.
Tout cela se situe dans un contexte de crise des idéologies : étant donné que la politique a horreur du vide, et par rapport à des Français qui ont ressenti l'inexistence de différences dans les résultats des politiques de lutte contre la crise de la part des gouvernements de centre-droit et de centre-gauche, il y avait un vide, et c'est dans celui-ci que naquit le "jaunisme", développant une quasi-vacuité au niveau des idées et débouchant sur un trou noir... Il faut aussi incriminer le manque de sens des vies de beaucoup des Gilets Jaunes et un déficit éducatif qui entraîne l'impossibilité de trouver un intérêt culturel à l'existence. Nous sommes placés dans le monde occidental (et autre ?) à des croisements de cycles civilisationnels, peut-être post-démocratiques (nous ne savons pas si la démocratie est condamnée au profit de formes de pouvoir autoritaires ou si elle arrivera à se régénérer progressivement : c'est dans l'entre-deux que naissent les monstres). Relisons le communiste italien Antonio Gramsci, qui avait déjà constaté dans ses "Cahiers de prison", le fait que "La crise, c’est quand le vieux monde est en train de mourir, et que le nouveau monde tarde à naître. Dans ce clair-obscur, naissent les monstres". Chez les casseurs professionnels idéologiques cyniques, ce sont indiscutablement les pulsions les plus primitives qui furent et sont encore à l'ordre du jour et à l'oeuvre, pour le pire (pensons au saccage de l'Arc de Triomphe)...
Les Gilets Jaunes le plus souvent ressentent l'opération de dépassement des partis politiques traditionnels (l'opposition droite/gauche) tentée par Emmanuel Macron comme un putsch malin. Ils se considèrent ainsi légitimés à reprendre à leur compte (et sans l'intelligence des faits) ce côté putsch ; il y a là évidemment un esprit de revanche couplé à une absence totale de scrupules. De plus, cela s'appuie sur le fait que l'individu s'est mis au centre de ses propres préoccupations, sans voir le mal qu’entraînent ses actions. Toutes ces individualités mises ensemble donnent un pouvoir détonnant et dangereux, qui peut effectivement amener au lynchage. La "toute puissance" citée plus haut vient du fait que les "jaunistes" s'identifient au "peuple", qu'ils sont LE peuple (que rien ne peut arrêter), comme un certain clamait haut et fort qu'il était "la république et sacré"... Les Gilets Jaunes ne sont en fait qu'une portion du peuple, pour ne pas dire une faction, activiste, c'est évident, mais très minoritaire. En affirmant que le pouvoir est devenu autoritaire, sinon dictatorial, ils tentent de faire apparaître leurs actions de révoltes comme justes et légales, au nom des Droits de l'Homme, ce qui est un comble... ! Ainsi, plus on parviendra à démontrer que l'Etat est devenu autoritaire, répressif, policier, plus la révolte en sera justifiée ; d'où le travail de harcèlement et de provocation, sinon la casse, générés par les plus extrémistes : le but consiste à entraîner la police dans un engrenage de la violence qui leur donnerait raison (si seulement nous avions "nos morts", se disent les plus extrémistes des Gilets Jaunes... !) et les conforterait dans le sentiment d'impunité, liée à la "légitimité" de leur mouvement. Un symbole : la Marseillaise constamment reprise et selon laquelle la liberté - et la lutte contre l’oppresseur, ici l'Etat policier - mérite tous les sacrifices (d'où des aspects de plus en plus nationalistes). Le caractère soi-disant "juste" des guerres ou des révoltes a toujours été le ciment du "peuple" ayant des revendications contradictoires. Pour conclure, on part de la détresse authentique de certains pour aboutir à toutes sortes de dérives antidémocratiques. On confisque les symboles et les valeurs de la république au profit de ce qu'il faut bien appeler, en fin de compte, une faction aux procédés dictatoriaux, sinon potentiellement totalitaires, servie en général par les grands médias (pour cause de spectacle rentable à livrer pour l'audimat) et pourchassant les journalistes critiques...
Réflexions collectives à partir d'un post de Jean-Luc Lamouché
Mise en forme des réflexions collectives par Jean-Luc Lamouché
Les noms relevés des intervenant par leurs commentaires dans le groupe facebook "Contre les populismes de droite et de gauche", et dans l'ordre alphabétique : Martine Bres, Evelyn J. Dano, Catherine Félix, Grainsdesables Dom, Xavier Josset, Bernard Martin, Laura Moreau, Brigitte Maroillat, Selena Orduna, Jacky Provence
5 février 2019
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